La bouillette
- Eric Deboutrois
- 4 mars
- 4 min de lecture
Si nous prenons comme définition d’une bouillette (boilie) le fait que ce soit « une boule de pâte liée avec des œufs durcie après ébullition », on s’accorde tous à dire que c’est Fred Wilton qui en est à l’origine. En 1972, il a en effet publié un article dans la revue des membres du British Carp Study Group dans lequel il écrivait : « La pâte, mélangée à des œufs et légèrement cuite, forme une peau qui empêche les poissons, comme le gardon et la brème, de la grignoter. » Pour imager, les appâts de Wilton étaient à la bouillette (comme on la conçoit aujourd’hui) ce que l’œuf mollet est à l’œuf dur, ils n’avaient qu’une fine peau caoutchouteuse enfermant un cœur encore souple.

D’ailleurs il ne semble pas être le premier a avoir bouilli des boules de pate et a en avoir parlé dans la littérature anglaise. En effet James A. Gibbinson (Jim), dans son livre « Carp Reveals » de 1968, évoque aussi le fait de faire bouillir quelques secondes les boulettes de pâte pour une meilleure tenue face aux petits poissons, ce qui leur donne cette peau caoutchouteuse. On ne parlait pas encore de « boilies » mais des « doughboys ». Dans ce même ouvrage Jim indique utiliser dans ses préparations des mélanges destinées aux animaux de compagnie comme les pâtées pour chien et chat et le fameux « sausage meat ».
Pour en revenir à la bouillette, des pêcheurs continentaux y avaient déjà pensé, et ce plus d’une dizaine d’années auparavant. En 1954 Max Piper en parle dans son livre « Der vielseitige Angler » (Le pêcheur polyvalent) ; en 1959 Alfred Esch livre sa recette de pâte à cerises pour le chevesne :
« 250 g de fromage blanc, 150 g de margarine, 375 g de farine, 2 jaunes d’œufs, 1 cuillère à soupe de crème sure, 2 blancs d’œufs, 500 g de cerises dénoyautées, 50 g de sucre. Passez le fromage blanc au tamis, mélangez-le avec du jaune d’œuf et du beurre ou de la margarine, mélangez la farine, le sel et la crème, ajoutez les cerises et enfin les blancs d’œufs, formez ou coupez de petits cubes et laissez mijoter la pâte à boulettes dans de l’eau bouillante salée pendant 15 à 20 minutes. »
A moins qu’il ne faille chercher du côté des pêcheurs de mahseer en Inde (pour partie sous domination britannique de 1757 à 1947) qui depuis des lustres utilisent un appât à base de farine de maïs ou de sarrasin, épicé d’asafoetida, clou de girofle, cardamome, piment, oignon, coriandre, cumin.... Ils préparent des appâts de la taille d'une balle de tennis qu'ils font ensuite bouillir pendant plusieurs minutes.
La théorie de la Haute Valeur Nutritive
Par contre c’est bien à Fred Wilton qu’on doit la théorie de la HNV. Il pensait que les carpes pouvaient instinctivement apprécier la valeur nutritionnelle d’un appât (au delà du goût). Il eut cette conviction suite à la lecture d’un article de journal parlant des lapins en Australie qui choisissaient leur nourriture en fonction de leur teneur en minéraux. Dès 1967 il fait ses premiers essais avec une pâte contenant une bonne proportion d’un mélange de levures, riche en sels minéraux et en protéines. Il a également l’idée de lier cette pâte avec des œufs, pour enrichir son mélange et parce qu’une fois bouillis ces appâts deviennent plus résistants. Il poursuivit ses recherches et affinât sa théorie.
Il était persuadé que l’appât idéal devait combler les carences de la nourriture naturelle et que si, en plus, il était parfaitement équilibré, aucune carpe ne pourrait y résister. Durant l’hiver 1967, accompagné de Gerry Savage, ils ont pêché l’étang de Sutton-at-Hone avec la recette basée sur le mélange de levures enrichi en caséine et en vitamines. Ils prendront durant cet hiver 72 carpes ! L'appât initialement conçu par Fred était composé de 31% de protéines avec un superbe profil de vitamines (celles A et D étant apportées par les œufs). La teneur en protéines a ensuite été augmentée autour de 45 %, ce qui semble-t-il contribua à améliorer le nombre de prises. Au total, Fred et Gerry prirent 224 carpes dans la saison, dont 50 de plus de 10lbs.
La petite histoire veut que Fred, contrairement à Gerry, souhaitait garder la recette secrète pour pouvoir continuer à comparer ses résultats aux appâts disons classiques. Mais la presse spécialisée s'en est largement fait l'écho. D’après un article publié plus tard dans le « British Carp Study Group Book », la recette se composait comme suit :
2 oz de mélange de levures
2 oz de caséine
6 oz de germe de blé
La bouillette philosophale
Comme le mélange contenait un fort taux de protéines, beaucoup feront (trop?) vite le raccourci et ne retiendront que cela. Toujours est-il que la fin des années 60 et le début des années 70 marquent un immense bouleversement en matière d’appâts. C’est l’époque où les recettes montent à 85% de protéines alors qu’on sait depuis, notamment avec les progrès en matière de pisciculture, que toutes ne sont pas également assimilables. D’ailleurs les pellets destinés à l’alimentation des salmonidés, et les farines de poisson au meilleur coefficient d’utilisation digestive feront de plus en plus parler d’eux.
Lorsque nous roulions nos bouillettes (certains aiment encore le faire) nous cherchions évidemment la recette de la bouillette philosophale, les additifs miracles. Je n'avais pas échappé à cela et fait d'innombrables recherches théoriques sur la nutrition des carpes, que j'avais partagées sur le site du Club Carpe de la Gaule Niortaise fin des années 90. Pour les curieux, elles ont été recopiées et complétées ici (je n'ai pas de lien avec la marque)

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