Recettes d'antan
- Eric Deboutrois
- 11 févr.
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Dernière mise à jour : 14 févr.
Bien avant l’apparition des premières bouillettes, la pâte crue était un appât couramment utilisé. D'innombrables recettes ont été décrites dans la littérature, et pour cause. L’idée était déjà bien ancrée que la carpe pouvait s’habituer à un appât et que, pour déjouer sa méfiance légendaire il ne fallait pas hésiter à se démarquer en inventant la sienne.

1496 Dame Juliana Berners
(pâte à barbeau) « Prenez de la graisse de brebis et du fromage à pâte molle, chacun à parts égales, un peu de miel, et broyez ou pilez le tout pendant un long moment, en pétrissant la masse jusqu’à ce qu’elle soit dure. Ajoutez un peu de farine et façonnez le tout en petites boulettes. »
1653 Izaak Walton
(pâte à carpe) « Prenez la viande hachée d’un lapin ou d’un chat et la farine de haricots. Si vous ne pouvez pas obtenir facilement cette dernière, utilisez une autre farine. Et puis mélangez le tout et ajoutez du sucre ou du miel, ce dernier est meilleur à mon avis. Et puis broyez le tout dans un mortier et pétrissez-le avec vos mains (seulement si elles sont très propres), puis formez une boule […] Et si vous voulez garder une pâte pour la pêche toute l’année, mélangez-la avec de la cire d’abeille et du miel clarifié, et pétrissez le tout avec vos mains devant le feu ; puis faites-en des boules, elles dureront toute l’année. » (Ces boulettes étaient séchées mais pas encore bouillies).
A la même époque, le Frère François Fortin Révérend de Grammont dit le Solitaire inventif (1592-1661) livre deux recettes alternatives à la pêche de la carpe à la fève :
« on prend du marc de chènevis (on en trouve chez les Huiliers), la dose est d’une Livre ; deux onces de momie, elle se vend chez les Apothicaires ; deux onces de saindoux ou de graisse de porc, il n’importe ; deux onces d’huile de Héron, autant pesant de miel, une Livre et demie de pain blanc rassi, et 4 grains de musc. On mêle le tout ensemble : on en fait une espèce de pâte qu’on coupe par morceaux, gros comme des pilules ; puis on s’en sert pour garnir l’hameçon. Il est bon que cette pâte ait un peu de corps, et ce n’est que par le moyen du marc de chènevis qu’on peut lui en donner. »
« Vous prenez de la chair de Héron mâle ou femelle, vous la mettez dans une bouteille que vous enterrez dans du fumier chaud, et l’y laissez l’espace de quinze jours ou trois semaines, le temps qu’elle devienne en huile, il faut tirer alors cette bouteille bien bouchée, crainte que cette liqueur ne s’évapore trop. Quand l’envie vous viendra de pêcher, prenez de la mie de pain, un peu de chènevis, pilez le tout ensemble, imbibez le de votre huile, faites-en un corps. Cela fait, sépare-les en petites boulettes, grosses comme des fèves, garnissez-en votre hameçon, et pêchez à l’ordinaire. »
1872 Baron von Ehrenkreutz (Das Ganze Der Angelfischerei : Und Ihrer Geheimnisse, L'ensemble de la pêche à la ligne : et ses secrets,1886) :
« On prend du fromage non salé et des vers de terre, ou de petits escargots d’eau qui se trouvent dans l’eau et qui portent de petites maisons, ainsi que le jaune de trois œufs ; Ces morceaux sont écrasés en une pâte et un peu plus de safran est mélangé. Si vous voulez pêcher, vous devez en mettre autant qu’un pois dans un chiffon propre et l’accrocher à l’hameçon. »
« Un mélange de farine d’orge, de sang de vache, d’excréments de vache, de romarin et de miel est préparé, puis transformé en boules pour pêcher avec. »
1881 J.H Keene (The Practical Fisherman) :
« Prenez une quantité de veau bien cuit, une poignée de flocons d'avoine et un peu de miel. Broyez-les dans un mortier, mélangez-les en une pâte fine avec du lait nouveau et quelques grains d'asafoetida. Écrasez-le dans un mortier avec une quantité de vers, de limaces et quelques morceaux du plus gros fromage de suif que vous puissiez trouver. Épaississez la pâte de veau avec cette préparation, puis roulez-la en petites boules. » Il conseille ensuite de les faire tremper dans du sang de bœuf, quelques heures avant la pêche.
1904 Gustav Fellner
« Les petits pains, le pain blanc et d’autres pâtisseries peuvent être ramollis dans l’eau puis pressés avec d’autres produits, comme du pain d’épices râpé ou du fromage, pétris en une pâte, qui est un bon appât pour la carpe et le chevesne. Un appât infaillible pour carpe est préparé de telle manière que le pain d’épice ordinaire à des fins de cuisine, environ 2 à 3 pièces, est frotté sur une râpe, puis pétri avec du pain blanc (rouleau) ramolli dans de l’eau, auquel l’eau a été préalablement essorée, et au cours de cette procédure, autant de l’une ou l’autre matière est ajoutée que nécessaire, jusqu’à ce qu’une pâte brune dense soit créée, qui peut être facilement fixée à la canne à pêche. Avec cet appât, j’ai actuellement attrapé les carpes l’une après l’autre, c’est pourquoi je le recommande chaleureusement. »
1922 Dr Heintz
« Vous broyez du vieux fromage dur, ajoutez du miel et de l’eau et ajoutez tellement de farine que vous obtenez une pâte molle. Pétrir ensuite dans une noix de beurre. Il est conseillé d’y pétrir un peu de coton pour donner à l’appât plus d’adhérence sur l’hameçon. D’après V.D. Borne, on dit qu’il est très bon pour la carpe et la brème. »
1929 Dr Winter
« La pâte de pommes de terre est faite en ajoutant 2-3 pommes de terre de la taille d’un petit poing, pelées, avec de l’eau froide et portées à ébullition. Lorsqu’ils sont tendres, versez rapidement l’eau et mélangez les pommes de terre chaudes avec de la farine de blé pour former une pâte ferme ; vous incorporez la farine cuillerée par cuillère jusqu’à ce que la pâte ne colle plus à vos mains. »
Chacun avait déjà sa conception de l’appât idéal. Kevin Clifford dans son livre « History of Carp fishing » dévoile les recettes de pâte préférées d’Otto Overbeck, un chimiste britannique du début du XXème,
Chapelure, glucose, Brandy ou sherry
Chapelure, glucose, huile d’anis
Génoise réduite en miettes fines, mélangée à du sucre en poudre et du miel.
Avant le lancer, chaque appât est plongé dans du miel liquide
Ces recettes ressemblent beaucoup à celles qu’on peut retrouver dans la littérature française du début du XXème, avec du pain utilisé en ingrédient principal, mélangé à du sucre ou du miel. Le Dr Ernest Sexe par exemple, dans son livre « La carpe de rivière » consacre un chapitre complet aux « Pâtes diverses » dans lequel on retrouve ces mêmes ingrédients.
Tim Paisley note que le miel était à cette période un ingrédient gardé secret, utilisé par quelques pêcheurs, dont Albert Buckley qui doit son record à cet ingrédient (du moins c’est ce qu’il pensait) sur le Mapperley Reservoir en 1930. Dans les années 50, et bien avant, il était admis que le miel était un attractant de premier ordre qui figurait dans la majorité des recettes de pâtes.

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