Pologne : la Galicienne
- Eric Deboutrois
- 25 mars
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Dernière mise à jour : 27 mars
Le clergé a acquis depuis le XIIe siècle une place très importante dans l'organisation politique de la Pologne. Les monastères Cisterciens (1140 à Jędrzejów et 1218 à Mogiła près de Cracovie) s’y sont répandus et avec eux les étangs viviers.
Un nombre important d’étangs monastiques ont été construits et exploités à la frontière Moravie-Silésie (Cieszyn et Opava), ainsi qu’un peu plus au nord (région Opole, Niemodlin, Oława et Milicz), puis dans la Petite Pologne (à l’est) avant de se répandre plus loin au centre et à l'est de la Pologne.
Les carpes y furent introduites (fin XII, début XIIIe siècles) de Bohême du sud et de Moravie toutes proches.
Les limites de la Pologne ont été parmi les plus floues et instables d’Europe au cours des siècles. Les XIVe et XVe siècles ont été marqués par des changements successifs de dynasties et des guerres sans fin, notamment avec l'ordre Teutonique.

Sur le territoire de la Ruthénie rouge (à cheval sur l’Ukraine), le développement intensif de l'économie des étangs a eu lieu dans la seconde moitié du XVe siècle. On retrouve en 1417 l’une des premières données précises provenant des frontières orientales de la Pologne mentionnant le prix de la carpe à Lviv, puis, suite à la conquête turque de Caffa (Crimée) en 1475, Kilia et Bilhorod (Ukraine, Odessa) en 1484, la demande en carpe des marchands de Lviv s’est accrue, en remplacement du commerce des poissons provenant de la mer Noire.
Les étangs et la carpe étaient également populaires parmi les laïcs Polonais. D'ailleurs l’historien Jan Długosz (1415-1480), dans l' Insignia seu clenodia Regis et Regni Poloniae (1466), décrit parmi les armoiries familiales des chevaliers combattant dans la bataille de Grunwald (1410, Pologne-Lituanie contre l'Ordre Teutonique) celles de la célèbre famille silésienne Korczbok « Corczbog, que tres pisces, qui carpones vocantur, unum super alterum locatum, defert in campo rubeo. » (Corczbog, qui porte trois poissons, qu'on appelle carpes, placés l'un au-dessus de l'autre, sur un champ rouge).


Au XVIe siècle les étangs se sont multipliés dans le paysage Polonais. Les tout premiers manuels de pisciculture ont d'ailleurs été écrits en polonais, bien que la langue officielle en vigueur fusse le latin. En 1573, Olbrycht Strumieński a publié l’ouvrage « A propos du versement, de la mesure et de la pêche des étangs, également sur le creusement, la pesée et la conduite de l’eau ». Le premier en Pologne et le second en Europe, après celui de Dubravius en 1547 (évêque morave - tchèque - et non germain comme le dit Walton dans « The Complete Angler »).
Au milieu du XVIe le burgrave Kaspar II. de Nostic (1500-1588) aurait quant à lui envoyé de ses États en Silésie la première carpe en Prusse, qu’il fit mettre dans le grand étang d’Arenberg, non loin de Creuzsburg (Fernand Serrane, la carpe, 1910, p25). Cet essai fut couronné de succès : en 1525, une carpe fut envoyée de Koenigsberg (actuelle ville russe de Kaliningrad) à Wilda, ou demeurait alors le duc Albert, grand maître de l’ordre Teutonique.
Le XVIe siècle et le tout début du XVIIe siècle étaient donc l'époque où l'économie des étangs a prospéré en Pologne, malgré une gestion extensive (peu productive). Puis au cours du XVIIe et XVIIIe siècles la pisciculture a subi un effondrement - comme en Bohème -, d’abord en raison de la guerre de Trente Ans (1618-1648), ensuite en raison de l’amélioration progressive de la production agricole qui a rendue celle des étangs moins rentable que celle céréalière et du blé notamment.
La méthode Dubisch
Une nouvelle étape a réellement commencé à partir du milieu du XIXe siècle, initiée par Tomasz Dubisz (Tomaszowi Dubischowi 1813—1888) alors qu’il travaillait à la ferme aquacole d’Iłownica-Landek, dans les domaines de la famille des Habsbourg en Silésie (Cieszyn).
Tomasz Dubisz a introduit la division en catégories (toujours en vigueur aujourd'hui) en fonction de la productivité de nourriture naturelle des étangs. Ainsi, au cours du cycle de production, les poissons sont déplacés d’étang en étang. Une première catégorie d’étangs étant destinée au frai, une autre à l’élevage d’alevins, une autre encore au grossissement, pour diminuer la densité avec l’âge et la taille des carpes et leur attribuer ainsi une plus grande zone d’alimentation. Ce système a permis de raccourcir le cycle de production de la carpe de consommation de 4-5 à 2-3 saisons et a été repris par d’autres éleveurs de la Petite Pologne.
La carpe de Dubisch a ensuite été élevée par son disciple Paweł Morcinek dans le domaine de propriétés foncières en Prusse, en Pologne, en Galicie, en Hongrie.
La galicienne

Mais l’histoire retiendra principalement Adolf Gasch – exploitant de l'étang Kaniów, près de Biała Krakowska – qui a ainsi réussi à produire une souche de carpe (miroirs et communes) caractérisée par un taux de croissance bien meilleur que la lignée précédente. Il a montré ses carpes lors de l’exposition agricole à Berlin en 1880. Les éleveurs européens ont été étonnés par la taille et la forme de ses poissons qui pouvaient avoir une apparence presque circulaire. C’est ainsi que la carpe polonaise est entrée dans la littérature mondiale sous le nom de « carpe galicienne » (car la ferme Kaniów appartenait à la Galicie, partition autrichienne de l’époque).

Le corps des Galiciennes est modérément allongé (rapport L/H compris entre 2.5 et 3), celui des miroirs est couvert de grandes écailles cycloïdes. Leur dos et haut et large. La bouche est légèrement tournée vers l'avant et vers le bas. Les deux lobes de leur caudale sont pointus. Même si la coloration est déterminée par des facteurs environnementaux et génétiques, la couleur du dos est foncée, les flancs sont dorés et le ventre, les pectorales et les pelviennes jaune clair. Les nageoires ventrales peuvent tirer sur l'orange, la caudale est grise avec une nuance orange.
Depuis, cette souche de carpe prolifique, vivant longtemps et pouvant atteindre des poids de plus de 20kg, a supplanté les variétés plus anciennes, en particulier les races Tchèques (Třeboň).



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