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Elevage et empoissonnements aux Pays-Bas 1895-1950

  • Photo du rédacteur: Eric Deboutrois
    Eric Deboutrois
  • 1 mars
  • 10 min de lecture

La pêche à la carpe peut être pratiquée partout aux Pays-Bas tant il y a d’eau, mais aussi grâce à une politique d’empoissonnement qui remonte à la fin du 19e siècle. Grâce à lecture d'anciens registres, Gerwin Gerlach* a retracé l'histoire de l'élevage et des lâchers de carpes aux Pays-Bas dans plusieurs articles du magazine Karper au milieu des années 2010. Ce post en est la traduction, adaptée et réalisée avec son aimable consentement.

*Gerwin Gerlach travaille à Sportvisserij Nederland (anciennement OVB), il est membre du KarperStudiegroep Nederland (KSN)


La Nederlandsche Heidemaatschappij

 

A la fin du 19ème siècle, il est établi que la carpe est présente en de nombreux endroits, mais en quantités relativement faibles. Le 5 janvier 1888, la Nederlandsche Heidemaatschappij (notée NH ci après) est fondée dans le but de conseiller et de stimuler la mise en valeur des terres. À partir de 1897, elle participe au développement et à l’amélioration de la pêche en eau douce. Aux Pays-Bas, quelques propriétaires d'eau avaient déjà procédé à des essais de lâchers de carpes à croissance rapide de races galiciennes et bohémiennes, achetées en Allemagne. Compte tenu des résultats favorables en matière de croissance, la NH a également décidé d'importer des carpes allemandes pour mettre en place un programme d'élevage. C’est ainsi qu’elle commence à élever des carpes « nobles » près de Vaassen dans les eaux d'agrément du château de Cannenburgh.


Élevage de carpes dans les eaux du parc du château de Cannenburgh
Élevage de carpes dans les eaux du parc du château de Cannenburgh

Cependant, la configuration de ce site séculaire n'est pas adaptée à une pisciculture efficace. En mars 1899, un complexe est construit à quelques kilomètres de Cannenburgh et au mois de juin les premiers géniteurs sont transférés dans les bassins.

Dans l'un d'entre eux, sont placés quatre mâles et deux femelles de la « race croisée Bohemienne-Lausitz (Lusace) » en provenance d'Allemagne. Dans un autre étang prennent place six poissons de « race Galicienne pure », acheminés d’Autriche.

Les poissons se reproduisent rapidement et, après une semaine, le premier étang contient des milliers d’alevins. Dans l'étang des Galiciennes, le succès du frai est malheureusement faible, probablement parce que les géniteurs n'ont pas encore atteint leur pleine maturité de reproduction.


Les alevins sont capturés à l'aide de filets à mailles fines et transférés dans les étangs de grossissement. Pour le plus grand bonheur des pisciculteurs l’été est chaud et à l'automne 1899 la pêche fait état de 4 850 pièces de 10 à 22 centimètres de long. Les écaillures sont variées, carpes communes, miroirs et cuirs.

Étang d'élevage à Vaassen avec spectateurs au bord de l'eau
Étang d'élevage à Vaassen avec spectateurs au bord de l'eau

Au cours des années suivantes, l'élevage a connu une tendance à la hausse. En 1900, 28 000 carpes ont été récoltées. La grande majorité d'entre elles est relâchée gratuitement dans les eaux publiques de la Frise, de Groningue et Overijssel afin de soutenir et améliorer le stock d'origine. Une partie de la récolte est vendue aux propriétaires d'eaux privées et certains poissons restent à la nurserie une année de plus. Ces poissons, après une deuxième saison de croissance atteindront environ 25 centimètres de long et un poids de 250 à 400 grammes. A cette taille, après la remise à l'eau, ils ne sont pratiquement pas mangés par les brochets. En 1901, après l'agrandissement du complexe d'étangs de Vaassen, 36 000 C1 sont récoltées ainsi et qu’un petit nombre de C2.



La problématique du transport


Pour la NH, faire en sorte que les poissons d'élevage arrivent en bonne santé à leur destination est un défi de taille. En particulier, le transport vers les trois associations de pêche du nord du pays a été difficile. En 1902, on peut lire : « Le transport par chemin de fer entrave sérieusement le développement de l'industrie du poisson d'eau douce ». S’en suit la liste des temps de trajet et des correspondances vers le nord du pays, qui amène à la conclusion suivante : « Étant donné que les poissons vivants ne peuvent tolérer de tels délais aussi rigides, nous n'avons pas d'autre alternative que d'envoyer notre poisson dans le nord du pays par par voie d'eau ». En 1903, un bateau à moteur sera utilisé pour emporter les alevins vers le nord.

Tonneaux de carpes transbordés des chariots vers le bateau pour la suite transport
Tonneaux de carpes transbordés des chariots vers le bateau pour la suite transport

Amélioration de la production

 

Dans les étangs de la NH, l'apport d'engrais permet de maximiser la productivité. Après des essais avec du guano du Pérou (excréments séchés d'oiseaux de mer péruviens), du fumier de ferme et du compost, ce dernier s'est avéré donner les meilleurs résultats.

Étant donné que la survie des carpes de deux ans relâchées dans le milieu extérieur est nettement meilleure que celle des poissons d'un an, la demande de poissons de deux ans augmente. L'une des conséquences est qu'une surface de plus en plus importante doit y être consacrée. La taille des étangs passe de 6 hectares en 1899 à plus de 50 hectares en 1910.

Les carpes de deux ans pêchées sont triées et pesées à l'étang de Vaassen
Les carpes de deux ans pêchées sont triées et pesées à l'étang de Vaassen

Les lâchers réguliers de carpes et la protection de la taille minimale garantissent de bonnes prises aux pêcheurs professionnels, particulièrement dans les eaux de la Frise. Un pêcheur professionnel sur les Goëngarijpsterpoelen (au nord de Zwolle) prend régulièrement des centaines de kilos de carpes d’un seul trait de senne. Sur l'Oudegaasterbrekken, un pêcheur professionnel a même attrapé 11 000 livres de carpes en un seul coup de filet en 1911.

Engins de pêche autorisés en Frise, 1899, source Binnenvisserij in Nederland
Engins de pêche autorisés en Frise, 1899, source Binnenvisserij in Nederland

La pisciculture de Valkenswaard

 

Pendant la Première Guerre mondiale, les étangs sont si densément peuplés qu'une alimentation complémentaire est nécessaire pour éviter de devoir réduire la population de poissons. Mais le manque d'aliments pour poissons freine la croissance de la pisciculture. Les céréales ou légumineuses sont trop rares pour être données aux poissons. Pour répondre à la demande croissante d'alevinage, il ne reste plus qu'une solution pour diminuer la densité : construire de nouveaux étangs. Dans les environs de Vaassen, il n’y a pas de terrain disponible. L’endroit jugé le plus approprié se trouve à Valkenswaard (Brabant-Septentrional, limitrophe de la Belgique), où la NH effectue depuis des années d'importants travaux d'assèchement. En 1917, la pisciculture de Valkenswaard commence à fonctionner sur une superficie de 70 hectares. En 1919, la première production fait état de plusieurs dizaines de milliers de carpeaux d'un été. Les années suivantes, la superficie de l'étang est portée à 120 hectares. Les carpes de deux ans sont vendues à un bon prix, un florin et demi par kilo en 1923, ce qui confère à la pisciculture une bonne rentabilité.

 

La Grande Dépression


Durant les années 1929-1940, le monde est frappé par la Grande Dépression économique et un taux de chômage élevé. Elle fait aussi chuter les perspectives économiques de l'élevage de carpes. En 1930, le prix de la carpe tombe à 60 cents le kilo. En 1933, la totalité de la récolte de Valkenswaard a même dû être vendue à l'étranger pour la moitié de cette somme.

Comme évoqué par ailleurs, Redmire pool (Angleterre) a été ensemencé de 50 carpes en 1934, achetées à la NH par Donald Leney de Surrey Trout Farm. Dans les magazines et les livres anglais, ces carpes sont toujours décrites comme des « carpes galiciennes ». Il est donc plausible que les poissons cultivés par la NH en 1934 aient eu un sang et des caractéristiques mixtes Bohémiennes-Lusace-Galiciennes. En regardant la bonne croissance et l'âge finalement élevé des poissons de Redmire, il s'agissait apparemment d'une excellente combinaison génétique !


Les pêcheurs professionnels néerlandais, dépendant des marchés étrangers pour la vente de poissons d’eau douce, ne montrent plus guère d’intérêt pour les carpes de la NH. A contrario, avec l’augmentation du chômage, de plus en plus de personnes se mettent à pêcher à la ligne et une grande organisation de la pêche est en train d’émerger. Aussi, afin de proposer un bon stock de poissons dans toutes les eaux, de nombreux poissons d’élevage sont achetés et relâchés chaque année par la pêche sportive.


Les pêcheurs professionnels et les poissonniers essaient pourtant de vendre du poisson d’eau douce. La NH fait une campagne de propagande inédite à grande échelle, proposant des conférences, des films, des démonstrations culinaires… Des milliers de livres de cuisine sont vendus, ce qui augmente du moins temporairement la consommation de poisson d’eau douce. Des communiqués sont diffusés dans près d’une centaine de journaux, à la radio... Même les écoles de sciences domestiques sont utilisées pour fournir toutes sortes de recettes avec des poissons d’eau douce, suivies de journées portes ouvertes où les visiteurs peuvent voir des plats magnifiquement préparés et déguster différents types de poissons. Malgré ces efforts, force est de constater qu’en 1937 la campagne n’a pas eu l’effet escompté. Les ménagères et les commerçants ne sont pas particulièrement enthousiastes.

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L’hiver 39-40 et la deuxième guerre mondiale

 

Les poissons sont en vente à la NH à un prix raisonnable : 1 000 pièces pour 40 florins, 3 000 pièces pour 100 florins et 5 000 pièces pour 150 florins, hors frais de transport ou d’expédition. Dans un certain nombre de zones de polders, les pêcheurs professionnels continuent d’empoissonner avec des carpes annuelles d’une dizaine de centimètres. Après l’hiver très rigoureux de 1939-1940, 7 500 poissons ont été relâchés chaque année dans les eaux des polders de la Hollande-Méridionale et d’Utrecht et 22 500 dans les eaux de la Hollande-Septentrionale. La croissance des poissons est bonne. Dans le magazine de la NH, on pourra lire que les carpes nobles relâchées pesaient déjà une à deux livres à la fin de l’automne 1940. Un an plus tard (en décembre 1941), les poissons ont même atteint un poids de trois à quatre livres !

 

En mai 1940, afin de tenter d’empêcher l’avancée des Allemands, le gouvernement néerlandais inonda le polder de Zeevang en Hollande-Septentrionale à l’aide de l’eau du canal. Les carpes nobles présentes en profitent pour affluer vers la prairie inondée. La reproduction dans les fossés saumâtres des polders n’avait pas réussi jusqu’à présent, mais grâce à l’eau douce du canal et à la disponibilité d’une zone de frai parfaite, une énorme quantité de carpes se reproduit à l’été 1940. À la surprise de tous la plupart des jeunes poissons ne ressemblaient pas aux parents précédemment relâchés, à l’écaillure incomplète. La plupart des progénitures étaient des carpes communes. Après la capitulation du 15 mai 1941, la station de pompage a fonctionné pendant des semaines pour vider le Zeevang.

 

En juin 1940, quelques pêcheurs professionnels de Groningue ont attrapé en quelques semaines des milliers de carpes communes, miroirs et cuirs dans leurs pièges à anguilles dans le Reitdiep. Un employé de l’inspection des pêches, qui enquête sur cette capture miraculeuse, découvre que beaucoup de jeunes carpes sont également capturées dans d’autres eaux fermées de Groningue. Dans toutes ces eaux, plusieurs carpes d’un été avaient été relâchées quelques années plus tôt, mais n’avaient pas été vues, ni pêchées par la suite. L’inspecteur fait rapidement le lien avec l’hiver rigoureux 39/40, au cours duquel une épaisse couche de neige sur la glace a entraîné d’importantes mortalités des brochets. Les carpes, moins sensibles aux faibles taux d’oxygène, ont survécu à l’hiver et ont frayé en mai. En raison de l’absence de prédateurs la survie des alevins et des carpeaux a été optimale.

 

Miroirs C1
Miroirs C1

Pendant la Seconde Guerre mondiale, l’élevage devient de plus en plus compliqué. La nourriture pour les poissons d’élevage devient inaccessible, le régime d’occupation ayant gravement entravé l’échange d’aliments pour les piscicultures. Il n’y a pas d’engrais disponible. Dans le même temps, le stock de poisson diminue parce que les pêcheurs professionnels ont bien d’autres préoccupations que d’empoissonner. Le manque de nourriture touche aussi la population et la demande de poisson d’eau douce augmente. Il n’y a presque plus de poisson de mer pour la bonne raison que les pêcheurs n’ont plus le droit de sortir en mer avec leurs bateaux.


Suite à la grande dépression et durant la seconde guerre mondiale la NH a joué un rôle important dans la création d’emplois pour le compte de l’Office national pour l’expansion du travail. Tous les espaces disponibles pour élever des carpes ont été empoissonnés. Les étangs d’ornement sont pêchés et stockés en jeunes carpes. Ceux envahis par la végétation durant les années de crise sont remis en état pour être à nouveau adaptés à la pisciculture. Lorsque c’est possible, les étangs sont encore agrandis. À Valkenswaard la surface de l’étang passe de 120 à 180 hectares. Pour autant la dernière année de la guerre est particulièrement difficile pour les pisciculteurs. Les étangs contenant des carpes pas plus grosses qu’une main sont radicalement nettoyés afin de pouvoir mettre un peu de nourriture à la disposition de la population affamée. D’autres étangs contenant des poissons encore plus petits, fléchés pour constituer un nouveau cheptel après-guerre, ont été pêchés à la grenade et vidés par les soldats allemands.



L’avènement de la pêche

 

Heureusement, après guerre, il reste encore quelques carpes présentes dans les complexes d’étangs néerlandais, de sorte qu’un empoissonnement peut être envisagé rapidement. Malgré la diminution du nombre de pêcheurs professionnels, la pression sur les stocks de poissons ne diminue pas pour autant. L’arrivée de nouveaux matériaux, tels que les filets en nylon, offre de nouvelles perspectives de pêche. Croissance économique, croissance démographique et croissance du temps de repos font qu’il y a une augmentation rapide du nombre de pêcheurs qui de leur côté ont également accès à de nouveaux matériaux et aux cannes à lancer. Avec la pêche à la ligne, l’intérêt de l’élevage des carpes renaît plus fort que jamais.


Ouverture de la pêche en 1942 à Halfweg
Ouverture de la pêche en 1942 à Halfweg

En même temps, la grogne monte. Les pêcheurs sportifs et professionnels sont très critiques à l'égard des pouvoirs publics qui, à leurs yeux, prêtent trop peu d'attention à la pêche dans les eaux intérieures. Il s’accordent sur le fait que la qualité de l'eau doit s'améliorer et qu’il faille relâcher plus de poissons, surtout des brochets et des carpes ! Par contre, l’usage des eaux et la répartition des droits de pêche font l'objet de vifs débats. Les fortes divergences entre les pêcheurs sportifs et les pêcheurs professionnels empêchent de parvenir à un compromis. En 1946, une commission est mise en place pour étudier les possibilités d'améliorer l'attribution des droits de pêche ainsi que celles de coopération entre la pêche sportive et la pêche professionnelle. Une proposition consiste à  ne louer les droits de pêche par eau (unité de gestion) qu'à un seul bailleur, soit la pêche professionnelle, soit la pêche sportive. Cependant, il a fallu des années avant qu'une telle réglementation ne soit adoptée.

 

Au cours de la période 1946-1950, le complexe d'étangs de Valkenswaard a fait l'objet d'une amélioration générale et plusieurs nouveaux étangs ont été construits. En louant deux étangs existants près de Bergeijk, la NH disposait en 1948 de cinq fermes piscicoles. L'État néerlandais prend en charge les frais d'exploitation et les alevins sont désormais mis à disposition par le « Rijkspootvisfonds » (Fonds national de la pêche) à des fins d'ensemencement.

Le complexe d’étangs créé près de Valkenswaard est aujourd’hui en réserve naturelle
Le complexe d’étangs créé près de Valkenswaard est aujourd’hui en réserve naturelle

La demande d’empoissonnement de la part des associations de pêche ne cesse de croître. Cela s'avère décisif pour la poursuite du développement de la pisciculture et des lâchers de carpes aux Pays-Bas. Les piscicultures tournent à plein régime et la carpe est le principal produit d'élevage. Dans les années qui vont suivre, de grandes quantités de carpes seront relâchées dans les eaux néerlandaises.

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