L'affaire Nash et la table ronde
- Eric Deboutrois
- 1 mars
- 6 min de lecture
Décembre 2011, Stéphane Gonzalez publie un édito « Affaire Nash, ce que je crois ».
Il rappelle les faits. Au début des années 2000, des grosses carpes, pour l’essentiel pêchées sur le Lot, sont échangées à des pêcheurs peu scrupuleux contre du matériel et des bouillettes de la marque Nash. Le trafic est orchestré par un certain « Bilou » à la tête d’une bande de trafiquants fiers de l’être. La 30 kg de Cassagnes est prise par plusieurs pêcheurs puis déplacée, et/ou l'inverse. C’est sûrement la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Pendant ce temps là c’est le lac de Parisot qui s’enrichit d’un cheptel étonnant. Au final les poissons s’envolent à nouveau pour le lac de Bournazel dans l’Aveyron, rebaptisé « château Cavagnac » au moment de devenir le centre de pêche de Kevin Nash en 2003.
Les membres aveyronnais de l’UNCM, dont le regretté Jean Claude Vidal, ont « planqué » pour enquêter puis transmettre un dossier riche d’éléments à la Gendarmerie Nationale et à la FNPF (d’où ensuite la loi de 2004). Parallèlement l’affaire est médiatisée dans la presse française et britannique. Pour faire court les anglais répondent que rien n’interdisait le transport… Quant à Nash il a fait le choix de ne pas répondre au courrier que lui avait adressé Philippe en tant que président de l’UNCM.
Stéphane poursuit son édito en détaillant les éléments recueillis de la bouche même de Nash, suite à sa rencontre en Angleterre, courant octobre 2011. Le dit Bilou était missionné pour implanter la marque Nash en France et disposait à ce titre de matériel et bouillettes en quantité quasi illimitée, qui ont été détournés pour récupérer des carpes de tout le grand sud-ouest qui finiront à Bournazel. Stéphane Gonzalez écrit que Nash ne savait pas que les poissons provenait d’un trafic régulier et que le temps qu’il s’en rende compte, le business était en route et qu’il était trop tard pour faire marche arrière.
Pour les anciens de l’UNCM, comme pour beaucoup, la pilule passe d’autant plus mal que Nash refait son apparition comme annonceur dans le magazine, bien que Stéphane prenne soin de préciser dans son édito qu’on ne l’achète pas pour quelques kilos de bouillettes. Très peu de temps après cet édito on apprend que Fernand De Castro, président de la FFPC GN Carpe, va signer un partenariat de sponsoring pour l’Equipe de France avec Nash Tackle. Sous la pression de l’opinion et de nombreux sites internet regroupés pour l’occasion au sein d’un collectif appelé « Net Carpiste Libre », une table ronde est organisée à Montluçon le 25 février 2012.

La table ronde
Face à toute la presse spécialisée et au « Net Carpiste Libre », Nash a donc décidé de s’expliquer. Il est bien évidemment impossible de transcrire le verbatim exact, aussi ceux qui le souhaitent pourront retrouver l’intégralité de cette rencontre filmée sur la chaine Youtube de la FFPC.

Après les propos introductifs de Fernand de Castro, Kévin Nash prend la parole. Il explique qu’il est carpiste depuis 1968, qu’en 1988 il rencontre les frères Mahin qui lui parlent des problèmes rencontrés en France dont l’absence de no-kill (les carpes sont tuées) et de PDN. Il parle du développement des premières compagnies (Nash, Rod…) et dit être avant tout un passionné de pêche, plus qu’un business man.
Au début des années 2000, il se dit d’ailleurs fatigué du côté commercial lorsque lui est présenté « Bilou ». Ce dernier affiche la volonté de développer la marque en France. Il propose de monter une Team avec les meilleurs carpistes qui pécheraient avec les produits Nash, et d’en distribuer les produits, notamment sur le net (ce qui ne sera jamais fait). Nash donne son accord pour que les consultants aient chacun 2000€ par an en appât et matériel. 4 mois plus tard, Bilou demande plus d’appâts, disant que ses pécheurs n’en ont déjà plus. Malgré la barrière de la langue Nash sent l’entourloupe et accorde néanmoins une deuxième tranche d’appâts, en spécifiant que c’est la dotation de la 2eme année… En fait ces appâts seront utilisés pour « payer » des pêcheurs et déplacer les poissons vers le lac de Parisot.
18 mois plus tard, Bilou demande à Nash s’il a pensé à avoir un étang en France. Nash répond que non, qu’il n’a pas le temps de gérer cela. Bilou lui demande « et si je trouve un étang est-ce que ça t’intéresse ? ». Peut-être répond Nash. 5 jours plus tard Bilou avait trouvé un étang. Dans le partenariat qui s’engage, Nash avance les fonds et trouve les carpistes en Angleterre (Nash Resort) tandis que Bilou exploite et gère le lac.
Sans tarder Nash sent que les choses se gâtent, que tout ce qui était fait était un désastre. Bilou avait régulièrement besoin d’argent, pour l’équipement, pour payer les personnes… Chaque semaine, d’énormes sommes sont envoyées. Le comptable de Nash demande des factures en vain. Nash envoie son directeur en France constater l’avancée des travaux, mais celui-ci revient sans facture. Nash se rend sur place lui-même pour récupérer les factures. Lorsqu’il les demande, Bilou lui répond les avoir oubliées et qu’il lui donnera lorsqu’il l’accompagnera à l’aéroport. Au moment du départ, il dit les avoir à nouveau oubliées.
Nash reconnaît avoir investi ainsi 180 000€ donc 110 000€ sans facture. Bilou était en revanche tout content de montrer les photos des carpes mises dans l’étang, provenant de Parisot. Nash dit avoir eu une longue discussion à ce sujet. Bilou lui a dit qu’il n’y a pas de problème, que « si tu attrapes une carpe tu peux la garder ». Nash dit avoir répondu que ce n’était ni correct, ni éthique pour un pêcheur de carpe, qu’il « ne fallait jamais prendre de carpes dans les eaux où d’autres pêchaient ». Bilou rétorquait avoir besoin de davantage de poissons pour le succès du lac. Nash savait, avoue-t-il, que les poissons étaient déplacés. « J’ai honte d’admettre que j’étais d’accord », c’était le seul compromis possible dans nos discussions orageuses dit-il. Nous avons acheté pour 12 000€ de poissons provenant d’un étang vidé par un pisciculteur poursuit-il.
Pourquoi avoir été aussi peu clairvoyant ? A l’époque, il s’est inquiété de plus en plus et dit avoir interdit les déplacements. Il conclut en revenant sur les différences de culture. Il était convaincu qu’en France les poissons appartenaient au pêcheur qui pouvait les manger ou les rapporter chez lui. Ayant beaucoup investi dans château Cavagnac, il admet avoir fait un compromis en acceptant que Bilou y mette des carpes, rappelant que lorsque il est arrivé pour la première fois en France les carpes étaient tuées, et que les 10 années suivantes elles étaient déplacées, que les pêcheurs français les emmenaient vers leurs propres étangs ou dans des endroits où ils pouvaient pêcher. Il y avait également beaucoup de pêcheries privées qui avaient pris l’habitude de se servir dans le domaine public. Il y avait même des anglais qui achetaient des carpes aux pêcheurs français pour les ramener en Angleterre.
Depuis Nash a exploité son propre étang en Angleterre et a ainsi prouvé qu’il était possible, avec des souches anglaises, d’obtenir des poissons aussi gros. « Pouvez vous imaginer la honte que j’ai alors que la plupart des éléments liés à Cavagnac était hors de mon contrôle, même si j’accepte ma responsabilité ».
Nash reconnaît y avoir laissé des plumes et dit ne pas avoir toujours été bien traité en France. Il dit qu’au début des années 90 Sensas, qui distribuait la gamme Catchum (Nash-Rod) a copié la gamme, les recettes, les méthodes ; que quelques années plus tard une chaîne de magasin qui avait acheté pour 60 000€ de produits et, quoiqu’en retard de paiement avait repassé commande pour 20 000€ l’avait reçu en grandes pompes avec repas gastronomique, que la semaine suivante elle a fait faillite et qu’il a perdu tout son argent. Pendant quelques années il n’a pas cherché à revenir sur le marché français. Il a passé la main à une équipe jeune, menée par Alan Blair, qui a souhaité développer la marque en France (avec Olivier Peyrebrune comme country manager à l'époque). Or, dit-il, c’est justement à ce moment que sur le net cette affaire ressort, alimentée [pense-t-il] par des personnes impliquées dans des marques concurrentes.
A la fin de son édito de 2011 Stéphane Gonzalez écrivait « à suivre »… L’essentiel du scénario de cette affaire appose business et valeurs, argent et éthique. Même si on ne doit pas oublier, cette histoire appartient désormais au passé. Une page de plus s’était tournée dans une histoire en marche.



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