La pêche de la carpe en Allemagne après la 2e guerre mondiale
- Eric Deboutrois
- 16 févr.
- 9 min de lecture
Dernière mise à jour : 15 févr.
Adaptation libre sur la base d'articles de Sebastian Schmidt (avec son autorisation) parus dans Carp in focus, et d'autres sources (Fisch und fang notamment).
Après guerre il fallut quelques années pour que la pêche de la carpe retrouve son niveau d'antan. Beaucoup de bons pêcheurs avaient péri à la guerre ou avaient été blessés. Beaucoup de savoirs furent perdus ; la littérature d'avant guerre avait été brûlée et il n'y avait plus de magazine. Evidemment d'autres préoccupations passaient avant la pêche sportive de la carpe. La faim était omniprésente et si les gens pêchaient, c'était avant tout pour se nourrir. Cela a évidemment affecté les stocks de carpes…
Le rebond d’après guerre
À la fin des années quarante, la situation commence à s'améliorer. À cette époque, de nombreux fabricants d'articles de pêche se remettent à produire. La DAM - alors encore basée à Berlin - a repris la production de son Quick. Quelques livres ont été écrits, de nouveaux magazines ont été imprimés et les matériels de pêche moderne se sont répandus.
Les nouveaux moulinets à bobine fixe remplacent de plus en plus ceux à tambour tournant. Michael Treppenhauer, un ingénieur de Dresde, mis au point au milieu des années 50 le Emté Alligator qui fut probablement le premier moulinet au monde doté d'une bobine enveloppante, remplacé ensuite par son Emté Delphin (1959). Ce moulinet entièrement métallique avec roulements à billes était à l'origine conçu pour la compétition, et la pêche côtière. Si les moulinets à carpes n'existaient pas encore vraiment, ceux de haute qualité, comme le Mitchell 300, le Quick Finessa de DAM ou le Rileh-Rex 57 de Richard Lehmann de Leipzig, étaient très appréciés. En ce qui concerne la fabrication des cannes, le bambou refendu cède de plus en plus de place aux nouveaux modèles en fibre de verre, tandis que les lignes modernes en Dederon avaient depuis longtemps remplacé celles en soie tissée.
Le Emté Alligator remplacé par le Emté Delphin à partir de 1959.
En 1949, l’entreprise SPORTEX est fondée à Puchheim, en Bavière, et se consacre à la fabrication de cannes à pêche. La marque deviendra synonyme de qualité et de durabilité en utilisant des matériaux de pointe, depuis les blanks en fibre de verre creux de couleur miel des années 50 jusqu'à ceux qui intègrent aujourd'hui des matériaux innovants en fibre de carbone.
Les techniques allemandes
L'appât standard était sans aucun doute la pomme de terre. La raison pour laquelle les particules ont été moins utilisées à cette période n'est pas tout à fait claire. Il est probable qu’il était tout simplement plus facile de trouver des patates.
En 1954, dans la deuxième édition de son livre Der vielseitige Angler (Le pêcheur polyvalent), Max Piper propose une alternative intéressante : « Si la ménagère prépare les nouilles pour les repas de midi, on peut lui demander de préparer quelques boulettes de la taille d'une noix et de les former pendant la cuisson ». Les pâtes était composées de farine de blé, de semoule de blé, d'œufs et de sel. Si nous définissons les bouillettes comme une boule de pâte liée avec des œufs et cuite, il pourrait s'agir de la première mention de bouillette dans l'histoire de la carpe, à minima en Allemagne.
De nombreux pêcheurs présentaient encore leur appât avec un flotteur ou à fond, directement sur l'hameçon. Ceci était certainement dû à l'influence des techniques anglaises. Le premier livre exclusivement en allemand sur la carpe (So fängt man Karpfen, Comment pêcher la carpe) de 1958 n'était en fait qu'une traduction du best-seller anglais Carp - How to catch them de David Lincoln Steuart (1955) et les Anglais n'étaient apparemment pas encore familiarisés avec l'utilisation de l'appât à côté de l'hameçon.
C'est surtout en Allemagne de l'Est que la technique consistant à attacher l'appât à l'hameçon à l'aide d'un fil fin était populaire. Fritz Krüger (de Dresde !) a décrit cette méthode d'eschage de façon un peu plus détaillée dans le Deutscher Angelkalender de 1957. « Vous prenez le morceau de pomme de terre destiné à servir d'appât [...] et vous l'attachez transversalement avec un morceau de ficelle blanche, tout comme comme on attache un paquet : faites un nœud, mais ne coupez pas les extrémités. Pour que l'appât ne tombe pas de l'hameçon lors du lancer, attachez les deux extrémités du fil à l'hameçon et ne les coupez qu'ensuite ». Pour utiliser des particules, des haricots blancs et des pois verts, Krüger conseillait en outre : « Cependant, la légumineuse n'est alors pas attachée avec de la ficelle mais on la pique avec une aiguille à coudre, on y passe la ficelle et on noue les deux extrémités ensemble. L’hameçon est alors passé dans la ficelle. De cette manière, vous pouvez également nouer plusieurs graines sur l’hameçon sans craindre d’en perdre lors de la coulée ».
Les gros poissons
Le début des années 1960 a été marqué par des prises de plus en plus grosses. Alors que jusque là les poissons de 20 livres étaient encore rares, on commençait à prendre régulièrement des poissons de plus de 30 livres. Cela s'explique certainement par le matériel plus adapté, en particulier au niveau des lignes. En 1960 dans le lac Kahl, près de Hanau, une carpe de 24 kg sera capturée et restera le record allemand pendant plus de 25 ans. A côté de ce record, les prises multiples ont également fait sensation. Au cours de l'été 1960, un pêcheur de Brandebourg, Willi Andert a capturé deux poissons de plus de 30 livres, à fond, sur des lignes eschée de pommes de terre. C'était probablement la première fois au monde qu'un pêcheur attrapait deux poissons de 30 livres en une seule session. En tout cas, en Angleterre il n'y avait jamais rien eu de tel encore.
Un pêcheur d'Eisenhüttenstadt, Bruno Grund, a fait une prise de rêve en 1965, dans le canal Oder-Spree, en pêchant à l'écrevisse ! Son poisson de 23,75 kilogrammes, même selon les critères d'aujourd'hui, était un poisson de rêve.
La séparation de l'Allemagne
Les événements géo-politiques de l'époque étaient moins réjouissants. La création de la frontière intérieure en 1949 et le rideau de fer (guerre froide) a non seulement limité les déplacements et accessoirement les possibilités de pêche de part et d'autre, mais a aussi été à l'origine de développements partiellement différents de la pêche à la carpe au sein d'un même pays. Les deux parties de l'Allemagne publiaient leurs propres magazines, leurs propres livres. La pêche de nuit de la carpe, par exemple, restera interdite en RDA jusque dans les années 1980.
A l'Ouest, en partie sous l'influence de grands noms anglais tels que Dick Walker ou David L. Steuart, on considérait que le montage le plus efficace était celui qui cachait l'hameçon, tandis qu’à l'Est, au moins une partie de la scène carpiste préférait les appâts munis d'un hameçon libre et d'une fine ficelle [voir article précédent]. Dans le numéro de mars 1963 du Deutscher Angelsport Heinz Otto a souligné les meilleures propriétés d'accrochage de ce montage et précise : « Les capacités mentales de la carpe sont largement surestimées si l'on croit qu'elle peut reconnaître un hameçon comme dangereux pour elle ». Otto a recommandé l'utilisation de bas de lignes tressés, car plus souples et permettant à l'appât de se comporter plus naturellement lorsqu'il est aspiré.
Horst E. Rudolph écrivait en 1965 dans Jahrbuch des Sportanglers (Annuaire des pêcheurs sportifs) que cette méthode était celle utilisée presque exclusivement et avec un succès notoire en Saxe (sud de la RDA): « Je voudrais mettre en avant la présentation de la pomme de terre pour la carpe qui a été inventée en Allemagne. Il suffit de couper un morceau de pomme de terre de sept à dix millimètres et de l'attacher à un hameçon de taille 7 à l'aide d'un fil de fer croisé ». Il semble que Horst ait pêché de manière différente des pêcheurs de Dresde puisqu’il ne fait aucune mention de bouillette dans son article.
Bien entendu, la pêche de la carpe au flotteur restait très répandue. Kurt Schlotter de Dresde a d'ailleurs eu une idée intéressante à ce sujet. Il l'a présentée en 1965, également dans Jahrbuch des Sportanglers. Il s'agit d'un bambou avec un morceau de liège rond et perforé collé sur le dessus et d'un fil de cuivre ou de plomb enroulé autour de la partie inférieure. Ce flotteur était naturellement lourd et maintenait le bas de ligne et l'appât en place. Cela permettait de présenter l'appât au milieu des nénuphars sans qu'il ne s'accroche lors du lancer ou de la récupération.
Années 70 : les deux best-sellers allemands
En 1971, Wolfgang Zeiske publie Erfolgreich angeln - Karpfen, Schleie, Karausche (Pêche fructueuse - Carpe, Tanche, Carassin) qui a été le premier livre d'un auteur allemand à être vendu dans le monde entier consacré (presque) exclusivement à la carpe. Bien que la tanche et le carassin soient également mentionnés dans le titre, Zeiske ne parle qu’accessoirement de ces poissons. L'auteur a accordé beaucoup de place à la biologie, à la localisation et à la tactique. Le livre a été réimprimé cinq fois jusqu'en 1983. Rudolf Sack a écrit en 1977 Karpfen fang (Pêcher la carpe), un autre classique que les bibliophiles polyglottes chercheront à avoir dans leur bibliothèque. Ce livre est rempli d'expériences et d'aperçus remarquables et vaut selon Sebastian toujours la peine d'être lu.
La première carpe allemande de 50 livres
Cette évolution s'est logiquement ressentie dans le succès des pêcheurs sportifs allemands. De nombreux gros poissons ont été capturés au cours de cette période. En 1976, Walter Schiffer a attrapé une carpe de 24,5 kg dans la carrière de Wassermann, près de Cologne (Allemagne de l'ouest), établissant ainsi un nouveau record allemand.
Moins d'un an plus tard, ce record est pulvérisé. Günter Sauer, spécialiste de la carpe, a capturé dans la Weser une miroir de 26,37 kg avec une pomme de terre sucrée. Moins de trois mois plus tard, Horst Kottke a attrapé une carpe de 24,8 kilo dans la rivière Lahn. Fait notable, Kottke a remis volontairement le poisson à l'eau. Le no-kill existait donc déjà avant les années 80 en Allemagne (NB en 2025, il y est toujours officiellement interdit de capturer des carpes - et par extension d'autres espèces de poissons - « pour le sport »; la loi interdit la remise à l'eau des poissons, sous peine de lourdes amendes).
Dans l'ensemble, l'année 1977 a été une année marquante pour la pêche de la carpe en Allemagne. Dans le numéro de novembre de Blinker, le premier article sur les « vraies » bouillettes a été publié. Basées sur le modèle anglais, leur recette était principalement basée sur un mélange de caséine, de levure, de germe de blé et de soja. Elle se caractérisait par sa forte teneur en protéines et devait être mélangé avec des œufs, formé en boule et cuit pendant environ une minute pour une meilleure résistance aux poissons blancs. Cette recette (qui date en fait du début des années 1960) n'a été que légèrement modifiée au cours des 25 années suivantes.
Les tactiques utilisées évoluent également. Par exemple, on avait compris que les gros poissons se trouvaient [parfois] au-delà de portée d'un lancer du bord. Dans son article Weitabangeln (pêche à longue distance) paru dans le numéro d'août 1977 du Deutscher Angelsport, H. Gramsch recommandait de pêcher à l'aide d'un canot pneumatique. Si c’est aujourd'hui assez banal, c’était assez novateur pour l’époque. Lors de sa première tentative de la sorte, Gramsch a rapidement attrapé un « bon » poisson de 22 livres.
Innovation à l'ouest, stagnation à l'est
À l'ouest, la marque suédoise ABU a proposé de nouveaux produits avec son moulinet Cardinal. Alors que le légendaire 44 était la référence dans les années 1970, le 55 l’a remplacé dans les années 1980. La fibre de verre a également été utilisée pour la fabrication de cannes à pêche et, dans les années 1980, elle a été remplacé par le carbone.
À l'est, la situation n'était pas aussi rose. Alors que la production d'articles de pêche dans les années 50-60 était parmi les meilleures du marché mondial en termes d'innovation et de qualité, les Allemands de l'Est sont ensuite restés à la traîne. Jusqu'à la chute du communisme, le fleuron de la production de moulinets est-allemands est restée calquée sur la base du Rileh Rex 64.
En mai 1986, l'article Karpfen auf die harte Tour (La carpe à la dure) a été publié et a déclenché un boom dans la pêche de la carpe, principalement en Allemagne de l'Ouest. Il faut dire que les méthodes anglaises y ont toujours été omniprésentes dans les médias, des articles étant même régulièrement tirés de Anglers Mail. C'est probablement le fait que Blinker parle de captures incroyables pour l'époque qui a déclenché cette révolution. Toujours est-il que de nombreux grands noms de la pêche de la carpe en Allemagne se réfèrent à cette publication qui marque le début de leur passion.
La bouillette, le cheveu et les tactiques de Maddocks et de Middleton étaient connus en Allemagne de l'Est puisque Klaus-Dieter Oeser les avait présentés dans son livre Erfolgreich angeln auf Karpfen, publié lui aussi en 1986, sans que l'on puisse vraiment dire que la révolution idéologique fusse comparable de l'autre côté du rideau de fer, du moins avant la chute du mur en 1989.
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