La carpe au Japon
- Eric Deboutrois
- 4 févr.
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Dernière mise à jour : 14 févr.
Le plus ancien document dans lequel on trouve mention de la carpe au Japon est le Nihon Shoki, écrit en 720 après J.-C. Ce livre d'histoire raconte qu’en l'an 72, l'empereur Keikō se rendit dans la province de Mino afin de rencontrer la fille du prince impérial Yasaka Irihiko, Oto-hime, qu’on disait d'une beauté parfaite. Celle-ci ne l’entendait apparemment pas de cette oreille et, apprenant que l'empereur arrivait, alla se cacher dans une bambouseraie. Il mis au point un stratagème pour l’attirer et lâcha des carpes dans un étang qu’il regardait matin et soir jusqu’à ce qu’Oto-hime, désireuse de les observer, s’aventure à son tour au bord de l'étang…

L'élevage des carpes au Japon n’avait pas pour seul but de satisfaire le plaisir des yeux. C’était aussi une source de nourriture appréciée, notamment pour les habitants des régions éloignées de la mer ou soumises à des hivers rigoureux, qui disposaient de petits étangs pour les élever et les stocker. Traditionnellement ceux de Nagano et d’Ibaraki en mangent plus souvent que ceux d’autres régions. Nagano est réputée pour son environnement montagneux avec de nombreuses eaux claires, où la chaire de la carpe est particulièrement appréciée servie en sashimi.
Époque de Heian (794-1185)
D’ailleurs l’Engishiki, recueil de lois et de règlements écrit en 927, mentionne que des carpes en provenance de la province de Hitachi (aujourd’hui préfecture d'Ibaraki) et de la province de Mino (préfecture de Gifu) étaient à l’époque servies à l'empereur. La distance entre Ibaraki et la capitale impériale d’Heian-kyō (Kyoto) étant d'environ 550 km, il fallait que les marchands qui les transportaient disposent de points d’eau le long du chemin. Ainsi les carpes arrivaient vivantes à Kyoto après un voyage qui devait être épique.

Pourquoi le palais ne se fournissait-il pas au plus près, auprès de pêcheurs du Lac Biwa ou du fleuve Yodo (Yodo-gawa) qu’il alimente ? Toujours est-il qu’après la période Heian (794-1185) la carpe fut l'un des aliments des plus populaires, ce qui a contribué à la propagation de l’espèce à travers le Japon.

C’est aussi l’époque où l'on voit apparaître la carpe dans le folklore, sur les estampes (et de nos jours dans les mangas et animes), ou encore au théâtre aux côtés des héros populaires. Kintarō est l’un d’eux. Pour des raisons qui varient selon les versions, il s’est réfugié durant son enfance dans la forêt du mont Ashigara et n’a eu pour amis que des animaux. Doté d’une force surhumaine, il est souvent représenté se battant contre un ours ou s’agrippant au dos d’une grande carpe comme dans cette œuvre de Tsukioka Yoshitoshi (1839-1892).

Adulte, il sera amené à rencontrer Minamoto no Yorimitsu (944-1021), gouverneur de plusieurs provinces. Ce dernier, réputé pour ses exploits militaires, sera impressionné par sa force et le prendra à son service.
L’histoire de Kintarō fait écho à celle de Benkei (Saitō Musashibō Benkei, 1155-1189), un moine guerrier qui sera célébré par les théâtres Nô et Kabuki. Alors qu'il étudiait dans un temple, Benkei apprit qu'une carpe géante avait avalé sa mère tombée dans un bassin au pied de la cascade de Bishamon. Il partit aussitôt chasser cette carpe pour venger la mort de sa mère. Cet homme de grande taille, fort et combatif, deviendra le vassal de Minamoto no Yoshitsune et se battra à ses côtés contre le clan Taira durant la guerre de Genpei.

Minamoto Yoshitsune était le frère cadet de Minamoto no Yoritomo (1147-1199) qui deviendra shogun en 1185 et installera son shogunat dans la ville de Kamakura (rien à voir avec les hameçons éponymes ;) ). C’est la période dite Kamakura (1185-1333), où l'élite guerrière prendra durant quatre siècles le pas sur l'aristocratie civile. A cette période une des 5 cérémonies, organisée le 5eme jour du 5eme mois à la cour impériale, deviendra le Tango no Sekku (la journée des garçons). Les familles de samouraïs exposent les armures, sabres et casques dans les maisons et des poupées de Kintarō dans l'espoir de voir leurs garçons devenir aussi courageux, forts et loyaux que Kintarō (ou Benkei).

Il faudra attendre la période Edo (1603-1867) et la paix retrouvée pour que les koinobori (banderoles de carpes) soient suspendues dans les jardins et s’étendent à toutes les classes.

Au début des années 1800 (entre 1804 et 1830) les premières carpes colorées (nishikigoi) apparaîtront dans la région de Niigata, rouges ou blanches, puis, à force de croisements et de sélections, les premières kohaku (1830-1850).
La voie des samouraïs
A travers ces quelques exemples on voit qu’il est difficile de parler du Japon sans évoquer les samouraïs. Leur code de conduite, le Bushido, n’a fait l'objet d'un manuel qu’à la fin du XVIIe siècle, lorsque Yamaga Sokō (1622-1685) compilât les façons dont ils menaient leur vie de soldat. Ce code repose sur sept valeurs que sont la justice, le courage, la bienveillance, la politesse, la sincérité, l’honneur, la loyauté. Ces valeurs trouvent leurs racines à la fois dans le bouddhisme mahāyāna qui veut qu’on accepte les choses que l'on ne peut éviter ni changer et de s'en remettre raisonnablement à son destin ; dans le shintoïsme qui enseigne l'importance de la loyauté, du respect des ancêtres et des anciens ; et enfin dans le confucianisme qui transmet les valeurs éthiques de l'humanisme, de l'éducation, de la connaissance, de la sagesse, de la fidélité, de la bienséance et de la droiture.
Avant l’époque d’Edo, chacun des quelques 300 domaines féodaux décidait donc de la façon d’enseigner le Bushido à ses propres samouraïs, pour renforcer son territoire, protéger leur seigneur lors des nombreuses guerres civiles qui ont marquées les XV et XVI siècles, jusqu’à la réunification du pays. Évidemment la maîtrise des arts martiaux était indispensable, mais l’exercice des samouraïs s’étendait à bien d’autres pratiques plus zen comme la peinture, la musique...

seconde partie ici



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