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La carpe & sa pêche en Angleterre (1440-1950)

  • Photo du rédacteur: Eric Deboutrois
    Eric Deboutrois
  • 28 janv.
  • 8 min de lecture

Dernière mise à jour : 10 févr.

Les origines

La carpe a été introduite en Angleterre au 15eme siècle. Pour la datation basse, on se réfère souvent au livre de Saint Alban et au « Traité de pêche à la ligne » publié en 1496, dans lequel Dame Julyans Barnes écrit que la carpe « est un poisson délicat mais qu’il n’y en a peu en Angleterre ». Le mot « carp » figure d’ailleurs dans le Promptorium parvulorum de 1440, qui est le premier dictionnaire anglais-latin. Si on trouve bien quelques recettes antérieures à cette date, expliquant comment cuisiner la carpe, il faut sûrement en chercher l’origine de l’autre côté de la Manche, soit du côté de la France (qui pour partie était anglaise à cette époque), soit du côté de la Belgique ou de la Hollande. Le plus ancien registre attestant d’empoissonnements en Angleterre date de 1463 ou 1462 (comme l'écrit Turner en 1841) et concerne les étangs du duc de Norfolk, alors que d’autres registres confirment, en creux, l’absence de carpes jusqu’au début du 16e.

Illustration d'Edmund Hort New et extrait de l’édition 1898 de The complet angler,
Illustration d'Edmund Hort New et extrait de l’édition 1898 de The complet angler,

Marschall, Maschall, Mascoll, Mascal(l) ?


Il est souvent mentionné et repris que c’est Léonard Marschall (1546?-1590) qui aurait importé la carpe en 1514 (Fernand Serrane, La carpe, 1910, p26, cite cette date de 1514 donnée par Thomas Fuller).

Je n'ai trouvé que relativement peu de choses sur cet homme, si ce n’est qu’il était écrivain et traducteur de livres d’agriculture, greffier de cuisine dans la maison de Mathew Parker, archevêque de Cantorbéry (ce qui l’a possiblement conduit à acheter des carpes pour la table) et qu’il était propriétaire du manoir Plumpton Place, situé à quelques kilomètres de Lewes, dans le Sussex.

Pour la petite histoire, c'est le manoir que voulait acheter Georges Harrison (The Beatles) en 1969 « Nous avons cherché, cherché et finalement trouvé la maison parfaite. Elle s'appelait Plumpton Place [...]. Nous sommes tombés amoureux de la maison et lui avons fait une offre, mais il l'a refusée. Il a dit qu'il ne voulait pas que des rockers achètent sa belle maison et l'a vendue à un médecin de la région. Il s'est rendu compte du trésor qu'il avait acheté et l'a vendu à Michael Caine, qui l'a vendu à Jimmy Page, le guitariste de heavy metal qui a fondé Led Zeppelin !
Pour la petite histoire, c'est le manoir que voulait acheter Georges Harrison (The Beatles) en 1969 « Nous avons cherché, cherché et finalement trouvé la maison parfaite. Elle s'appelait Plumpton Place [...]. Nous sommes tombés amoureux de la maison et lui avons fait une offre, mais il l'a refusée. Il a dit qu'il ne voulait pas que des rockers achètent sa belle maison et l'a vendue à un médecin de la région. Il s'est rendu compte du trésor qu'il avait acheté et l'a vendu à Michael Caine, qui l'a vendu à Jimmy Page, le guitariste de heavy metal qui a fondé Led Zeppelin !

Sa date de naissance réelle est inconnue, elle est supposée en 1546. L’historien Thomas Fuller (1608-1661) dit que Mascall a introduit des carpes de l’autre côté de la mer, mais n’a certainement pas été le premier à apporter ce poisson dans nos lacs et nos étangs, bien qu’il en ait peut-être importé du Danube et les ait élevés dans les étangs de Plumpton Place (source Donald Mc Donald, Agricultural writers from Sir Walter of Henley to Arthur Young, 1200-1800, 1908, p46). D’ailleurs Mascall lui-même écrit (Léonard Mascall, Un livre de pêche avec hameçon et ligne, et de tous les autres instruments qui s’y rapportent, 1590) que « la carpe est un poisson fort et délicat à prendre, ses appâts ne sont pas bien connus, car il n’est pas depuis longtemps dans ce royaume. Le premier qui les apporta en Angleterre (comme on me l’a dit de façon crédible) fut le maître Mascoll de Plumsted dans le Sussex […] »

En fait Mascall (d'après Marston Robert Bright, Walton and earlier writers fish fishing,1894) s’inspira de Dame Julyans Barnes mais aussi de L’agriculture et maison rustique de Charles Estienne (1570). La date de 1514 avancée, sa date supposée de naissance, l’orthographe différente des noms ainsi que les propres écrits de Mascall laissent à penser que ce ne soit pas lui qui fit le premier traverser la Manche aux carpes, mais plutôt un de ses aïeux de Plumstead. Mascall poursuit en disant que « maintenant beaucoup d’endroits sont remplis de carpes, à la fois dans les étangs et les rivières », ce que reprend un peu plus tard (1653), Izaak Walton « il fut un temps, il y a une centaine d’années ou un peu plus, où il n’y avait pas de carpes en Angleterre. »


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Qu'en disent Walton et l'auteur mystère de The Art of Angling ?


Impossible de parler pêche sans évoquer Isaac Walton et son œuvre The Compleat Angler (1653). Plusieurs fois Walton met en avant la subtilité de la carpe de rivière et précise « J’ai connu un très bon pêcheur qui a pêché avec diligence quatre à six heures par jour, pendant trois ou quatre jours d’affilée, pour une carpe de rivière, sans avoir la moindre touche ». Son personnage Piscator insiste sur le coup du matin et du soir, dit que la carpe mord rarement par temps froid et, plus curieusement, que « le 10 avril est un jour fatal pour les carpes » (je n'ai pas trouvé pourquoi le 10/04). Pour les esches, Piscator parle des vers et pâtes de toutes sortes (j'y reviendrai dans un autre post), explique comment les faire et les adoucir avec du miel ou du sucre, ainsi que l’avantage et la façon de réaliser un amorçage quelques heures ou jours auparavant. Il termine le chapitre en expliquant comment la cuisiner.

On peut en apprendre plus sur l’expansion des carpes dans The art of Angling p50 et suivantes, paru en 1577, qui d’ailleurs sur le style aurait pu inspirer Walton. Son auteur (inconnu puisqu’il manque la page de titre du seul exemplaire connu) dit « [qu’] Il ne se trouve pas dans beaucoup de rivières. On n'a jamais entendu dire que la carpe ait été trouvée dans une eau courante ou un ruisseau, mais par l'éclatement de bassins où se trouvaient des carpes, ou par des inondations sur ces endroits, et elles ont ainsi été entraînées dans les rivières. Je connais moi-même une rivière où, il y a plus de seize ans, l'homme le plus âgé n'avait jamais entendu parler ni vu de carpes, et maintenant il y en a tellement qu'il n'est pas nouveau qu'un homme avec sa ligne tue en une matinée vingt ou quarante carpes. […] Leur première arrivée dans cette rivière a certainement été provoquée par une grande inondation provenant du Buckinghamshire et du Bedfordshire, qui sont des comptés bien pourvus en carpes. Mais maintenant, elles se sont installées chez nous et se reproduisent, de sorte que lors d'une montée des eaux, elles prennent les fossés. Nos marais sont maintenant pleins. Vous aurez une centaine de beaux poissons d'un pied de long chacun pour cinq shillings. »


The Practical Fisherman, J.H Keene 1881
The Practical Fisherman, J.H Keene 1881

« Un roi parmi les pêcheurs de carpe », fin du 19eme


Ce n’est que deux bons siècles plus tard, avec le regain de popularité de la pêche récréative mais aussi grâce à l’introduction dans les années 1890 de carpes miroirs en provenance de Hollande et d’Allemagne, par Thomas Ford, propriétaire de Manor fisheries, que la pêche à la ligne de la carpe s’est développée. Le fait que seul ce poisson d’eau douce (avec le saumon) puisse dépasser les 10lb y est pour beaucoup.

Otto Christop Joseph Gerhardt Ludwig Overbeck était sûrement à la fin du 19eme siècle le pêcheur de carpe le plus performant et le plus compétent du pays (A History of Carp Fishing, Kevin Clifford, 1992). Denys Watkins-Pitchford, (célèbre auteur et illustrateur dans « Shooting Times » où il écrivait sous l’alias de « BB », la taille de la grenaille de plomb qu’il utilisait pour tirer sur les oies) avait même dit « un roi parmi les pêcheurs de carpe » (chap.II de Confession d’un pêcheur de carpe, 1945). Chimiste et directeur scientifique d’une brasserie à Grimsby, dans le Lincolnshire, Otto pratiquait sur l’étang privé de Croxby, (empoissonné au début des années 1800), où il captura une carpe de 17,5 lb sur une canne à mouche. Bien que son nom n’apparaisse sur aucun tableau officiel des records, les spécialistes anglais s’accordent sur le fait que George Holden ait attrapé une carpe de 23 lb 1 oz en 1899, dans le lac Broadwater.


Les grosses carpes du début du 20eme


Le réservoir de Cheshunt (rebouché en 2004), loué par la Highbury Angling Society en 1910, fit parler de lui l’année suivante avec une série de grosses carpes capturées par ses membres, dont la plus grosse pesait 17 livres et 2 onces. C’est là qu’en octobre 1916, John Andrews y captura une carpe record de 20 lb 3 oz. Les archives de la première partie du siècle dernier ont montré que les poids des carpes, prises au filet ou retrouvées mortes, pouvaient aller au-delà des 20lb : 26 lb à Virginia Water dans le Surrey (1912), 24 lb à Birmingham (1921), miroir de 26 lb retrouvée morte dans un lac du Kent (1921) et même 37 lb prise au filet à Hampton Court (1916). Il n’en fallait pas beaucoup plus pour envelopper la pêche de la carpe d’un certain mysticisme, et entretenir la légende d’un poisson réputé difficile à capturer, avec le matériel et les techniques de l’époque.

Ce n’est que dans l’entre deux guerres, en juillet 1930, qu’une carpe record de 26lb fut capturée à la ligne par Albert Buckley, dans le réservoir de Mapperley (Nottingham), empoissonné une vingtaine d’année plus tôt, vers 1911. On peut retrouver le récit de cette capture dans Livre de chevet du pêcheur de B.B, 1945 ainsi que dans le chap.XV intitulé « La carpe record de M Buckley » de Confession d’un pêcheur de carpe, 1950, du même auteur.

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Toujours dans l’entre deux guerres, Donald Leney, propriétaire de la pisciculture à Truite de Surrey, importa des milliers de carpes au Royaume-Uni, dont 50 rejoindront Redmire pool en 1934, un tout petit étang de moins d’un hectare situé à Bernithan Court (Bernithan Court Pool sera rebaptisée "Redmire Pool" par B.B); d’autres iront à Frensham et dans de nombreux autres étangs. Ces carpes galiciennes (polonaises), importées de Hollande (j'y reviendrai dans un autre post sur la Hollande), présentaient l’avantage de grossir plus longtemps que d’autres souches, pourvu que Dieu leur prête vie et que le biotope s’y prêtent, conditions qui feront, pour partie, le succès de Redmire pool quelques années plus tard.


L’après guerre et le Carp Catcher’s Club 


En 1945, dans cette période d’après guerre où la pêche récréative connut un regain d’intérêt, Denys Watkins-Pitchford dit B.B publia son « Livre de chevet du pêcheur » (Fisherman’s Bedside Book, Eyre & Spottiswoode Ltd. 1945). Il y décrit dans un style imagé et poétique la ruse légendaire des carpes et la part de chance nécessaire pour capturer les plus grosses.

Denys Watkins-Pitchford dit B.B avec un moulinet spécialement fabriqué pour lui par Richard Walker en 1948
Denys Watkins-Pitchford dit B.B avec un moulinet spécialement fabriqué pour lui par Richard Walker en 1948

En janvier 1947, Richard Walker, ingénieur de métier et pêcheur assidu, lui adressa une correspondance (reproduite dans le chapitre IV de « Confession of a Carp Fisher » de B.B, 1950) indiquant qu’il ne trouvait pas la carpe si difficile à attraper que cela et qu’il avait même développé quelques techniques à cet effet. A cette époque, Walker avait déjà attrapé de nombreuses carpes de plus de 10 lb, bien plus que beaucoup d’autres pêcheurs à la ligne qui, pour la plupart disons le, n’en avaient encore jamais vu la queue d’une seule.

Au début des années 1950, Maurice Ingham avait à son tour correspondu avec Richard Walker au sujet du matériel de pêche à la carpe qu'il utilisait, intrigué par ses articles publiés dans le magazine Fishing Gazette. De leurs échanges naîtra une grande amitié, un livre (Drop me a Line, Walker et Ingham,1953) et de belles aventures. Walker, B.B et Maurice Ingham créèrent le Carp Catcher’s Club que rejoindront d’autres pêcheurs afin de partager leurs connaissances.

Maurice Ingham
Maurice Ingham

1 commentaire


steph.cahuet
29 janv.

C'est passionnant,beau boulot Éric.

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