Les moulinets à tambour tournant (1651 à nos jours)
- Eric Deboutrois
- 31 janv.
- 5 min de lecture
Dernière mise à jour : 10 févr.
Avant d’en arriver au stade industriel moderne, les premiers moulinets étaient artisanaux, composés d’une roue en bois semblable peu ou prou à une poulie qu’on tournait à l’aide d’une (ou deux) poignée(s) décentrée(s) pour rembobiner le crin, pas encore d’une manivelle axiale, sans le moindre mécanisme démultiplicateur, avec ou sans « cric »…


Simple ou démultiplié ?
Si on trouve trace de la première mention d’un moulinet pour pêcher le brochet dans le livre de Thomas Barker (Art of Angling, page 9) en 1651, il faudra attendre encore un siècle pour que s’ouvrent les premiers magasins spécialisés et quelques années encore pour que se démocratisent les premiers moulinets Nottingham à tambour tournant (Float fishing and spinning in the Nottingham style, John William Martin, 1885).
Quant aux premières démultiplications connues elles ont été ajoutées vers 1770, par l’anglais Onesimus Ustonson (1736-1810). Bien qu’appréciables en théorie pour récupérer plus vite la ligne, les moulinets multiplicateurs n’étaient pas encore adaptés à la pêche de gros poissons. Dans la littérature halieutique française (en tout cas dans celle que j’ai pu lire) Charles de Massas parle des moulinets à engrenages en 1852 dans son livre Le pêcheur. Il écrit qu’il en a déjà vu dans les mains de ses amis, mais ne s’en est jamais servi, qu’il coûte beaucoup plus cher que le moulinet simple ce qui, selon lui, ne le vaut pas. De l’autre côté de la Manche, Francis Francis (A book on angling, Francis Francis, 1876) écrit : n’utilisez pas un démultiplié, même si on vous le donne, c’est une abomination !


Style Nottingham et center-pins

Outre la pêche à la mouche, les anglais pratiquent depuis longtemps une pêche traditionnelle, peu connue en France, appelée « trotting ». Il s’agit d’une technique utilisée en rivière, à une seule canne, dans laquelle l'appât dérive le plus naturellement possible avec le courant, maintenu par un petit flotteur. Elle est particulièrement efficace sur des espèces comme le chevesne, le gardon ou encore la truite et l'ombre. Cette technique nécessite de disposer d’un moulinet le plus fluide possible, appelé « center-pin ». Alors que la bobine d'un Nottingham était fixée au moulinet à l'aide d'un écrou en laiton, dans les années 1880 est apparu le premier centre-pin équipé d’un loquet à ressort permettant de libérer la bobine en appuyant sur un bouton situé en son centre. Un center-pin se caractérise par sa bobine à rotation libre, c’est le pêcheur qui en contrôle la rotation avec le doigt, l’auriculaire ou le pouce.
L’Allcock Aerial
Les Nottingham en bois étant relativement lourds, le journaliste Henry Coxon (qui avait pêché avec J.W. Martin et F.W.K.Wallis sur l’Avon) eu l’idée de construire une bobine en ébonite soutenue par des rayons métalliques (son frère fabriquait des bicyclettes) montée sur un dos en noyer, qu’il présentera à Allcock's, qui en assurera la fabrication sous le nom d'Aerial en 1896.

Les moulinets de James Williams Young fabriqués en Angleterre depuis 1884, sont considérés par les connaisseurs comme la référence en matière de center-pin. JW Youngs, lui même fils d'un fabricant de moulinets, devint responsable de la production de moulinets à Redditch, avant qu'il décide de créer sa propre entreprise pour fournir ses créations à Allcock et à d’autres marques. Son modèle de center-pin le plus célèbre est l'Allcock Aerial.
La production de moulinets JW Young s’est interrompue pendant la deuxième guerre mondiale, l’entreprise produisant le bouton de mise à feu des mitrailleuses des légendaires Spitfire. Elle reprendra à l’issue avec la production de l'Ambidex, un moulinet à bobine fixe, bien que l'essentiel de la production restera celle des center-pins (Gildex, Rapidex, Trudex, Windex, Seldex et Landex).
Les moulinets Adcock Stanton
Harry Reynolds était ingénieur à l’usine sidérurgique Stanton à Ilkeston, située à quelques kilomètres de Nottingham, avant de se lancer, en 1938, dans la fabrique de moulinets en aluminium moulé, habilement finis au tour. Se distinguant des moulinets center-pin comme l'Aerial, ce moulinet tournait sur deux roulements à billes, ce qui permettait une rotation particulièrement fluide, appréciée par ceux qui pratiquaient le trotting le long de la rivière locale, la Trent. Comme c’est auprès de Stanton Iron Works qu’Harry s'était procuré les matériaux essentiels pour fabriquer ses moulinets, le nom de « Stanton » leur est resté. Pendant la Seconde Guerre mondiale, les matériaux nécessaires à la fabrication de ses moulinets étant devenus rares, Harry n'a pu reprendre sa production que vers 1942. Il en fabriquait environ six avant d'aller en train à Sheffield, ville réputée pour abriter l’une de plus grandes populations de pêcheurs du pays, pour les vendre dans les pubs locaux, puis recommencer sa production à l’issue. Vers 1955 il demandait deux livres et dix shillings pour un moulinet.
Moulinets Richard Walker
Richard Walker est aussi connu pour avoir fabriqué deux centre-pin après guerre. Ils étaient spécialement conçus pour la pêche des grosses carpes. Plus grands que les autres moulinets disponibles à l'époque - peu nombreux en raison des pénuries dues à la guerre -, ils permettaient de récupérer la ligne beaucoup plus rapidement et de garder le contact avec les carpes. Comme il l'explique dans Drop me a line, il s'agit d'une version surdimensionnée du moulinet “Eureka” de Hardy - 5 ¾ in. de diamètre, ¾ in. de large, avec un levier de frein actionné par le doigt en plus du contrôle.
(source ici)

Focus sur un center-pin moderne : The Waffle (The Treepenny Aerial)
En Angleterre la tradition perdure avec la fabrication de modèles uniques de center-pin, entièrement réalisés à la main. Giles Sexton, collectionneur passionné qui a eu l’amabilité de me fournir quelques photos qui illustrent ce chapitre, nous raconte l’histoire de son splendide « Waffle ».

Sa conception a pris 4 ans, le temps d’abord d’entrer en contact avec Leszek Delag (AKA « The Watermole ») et de le convaincre de fabriquer ce modèle unique pour Giles. Une fois cette étape passée, il fut mis sur liste d’attente, pendant pas moins de 3 ans ! Lorsqu’enfin son tour fut arrivé, le travail a pu commencé, en janvier 2022.
Après de nombreuses conversations sur le design et d’échanges de dessins, chaque pièce a pu être fabriquée à la main, y compris la plus petite vis en acier trempé, sur des machines anciennes. Au design et à la mécanique s’ajoute l’usage de matériaux rares, comme ce morceau de défense de Mammouth installé sur le frein à levier, ou encore le Golden Amboyna Burl dont les 12 sections constituent la plaque arrière.

Cette loupe de bois, une des plus chères et des plus recherchées, a pu être acheté en Ukraine au tout début de la guerre, ce qui constitue aussi un miracle en soi. La plaque arrière est entourée de Tufnol, un matériau utilisé dans l'industrie aérospatiale. Le cliquet à levier comporte 3 niveaux de réglage (doux, moyen et fort). L’enveloppe du guide ligne est en bronze phosphoreux de qualité navale, le guide étant une pièce de choix en agate du Pays de Galles. Les poignées sont en œil de tigre (pierre précieuse) d’une chatoyance exceptionnelle au soleil… La pièce de trois penny (trouvée neuve) indique l’année de naissance de Giles, qui a baptisé son moulinet « The Waffle » (la gaufre), mais seuls Giles et Leszek savent pourquoi.
Insolite
Avec l'arrivée des moulinets à tambour fixe, rares sont les pêcheurs de carpe qui utilisent encore des tambours tournant, mais ils ont leur Ambassadeur, comme ici à Osaka.

A suivre les moulinets à tambour fixe...



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