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Les cannes à carpe 1660-1950

  • Photo du rédacteur: Eric Deboutrois
    Eric Deboutrois
  • 24 janv.
  • 9 min de lecture

Dernière mise à jour : 11 févr.

Les pêcheurs à la ligne ont cherché à avoir des cannes alliant solidité et légèreté, souplesse et ressort. Fut un temps, ils n’avaient guère d’autre choix que de les fabriquer eux même ou de faire appel à des artisans. Certains deviendront facteurs de cannes, exploitant les qualités des « bois de fibres » ou les différentes sortes de bambous avant que ne se développe l’usage des matériaux composites, fibres de verre puis carbone.


XVII-XIXe : les bois de fibres


Le premier ouvrage en français qui aborde la pêche à la ligne comme une « nouvelle invention dont une carpe ne pourra s’échapper » est celui du Frère François Fortin Révérend de Grammont en 1660. Il recommande une gaule ou verge de houx ou de charme, ou de quelque autre bois qui « plie sans rompre et se redresse de lui même ». Il parle ensuite d’une canne creuse, semblable à celle de marche, au bout de laquelle on mettra un fanon de baleine (comme le faisaient encore récemment les japonais).

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On retrouve un schéma quasi similaire dans le Dictionnaire œconomique de Noël Chomel de 1709 p468. En 1734, Sieur Liger écrivait (Les amusements de la campagne, ou nouvelles ruses innocentes p491) que les pêcheurs de carpe devaient employer de « grandes gaules qui soient d’un bois pliant » en enroulant un excédent de fil de quelques toises autour de la dite gaule, confirmant ce qu’écrivait Chomel.


En 1816, Jean Cussac expliquait en détails (Pisciceptologie, ou, L'art de la pêche à la ligne) comment fabriquer sa propre perche, à partir de coudrier, saule, peuplier ou sapin, que l’on faisait chauffer puis sécher, avant de la percer d’un bout à l’autre avec un fil de fer de chaudronnier porté au rouge ou à blanc et de le mettre à tremper puis à sécher à la fumée. A ce premier bout on en ajoutait un autre fait d’un beau jet de coudrier, terminé par des jeunes pousses d’épine noire, de pommier sauvage, de néflier ou de genévrier. Il poursuit en disant qu’on peut plus commodément faire sa perche avec des roseaux des Indes, de bambou ou de bois des îles comme le cèdre, le cyprès, le micocoulier… Plutôt que de les emboîter, il note qu’on peut les tailler en biseau et les assembler avec de la cire grasse de cordonnier et les relier avec un bon fil ciré. Avant l’invention des viroles métalliques au XIXe siècle, les cannes « spliced » étaient assemblées ainsi, par des lanières de cuir mouillées, qui en séchant maintenaient solidement les brins.

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En 1830 on voit apparaître un petit moulinet en cuivre dans la description que fait Ainé Kresz de la canne de cinq pieds en trois brins (fig2), deux en frêne et un troisième en bambou, utilisée pour pêcher les saumons et les brochets (Traité de pêche, à la ligne et aux filets, en eau douce, Ainé Kresz, 1830, p18. Lire aussi : La Pêche en eau douce, contenant tous les principes de la pêche à la ligne […] d’Henri de La Blanchère, 1880, p5). Sans grand risque de se tromper on peut dire que l’histoire des cannes à carpe doit beaucoup à la pêche et aux pêcheurs de salmonidés, plus nombreux ou en tout cas plus prompts à écrire et à intéresser les fabricants.


En 1852 Charles de Massas (Manuel du pêcheur à la mouche artificielle et du pêcheur à toutes lignes, p17) explique par exemple comment utiliser le roseau d’Europe, délaissé par beaucoup parce qu’il avait tendance à se fendre, en l’enroulant d’un ruban de toile collée et vernie. Il était ainsi possible de faire de longues cannes finalement aussi solides, plus légères et surtout beaucoup moins chères que celles en bois des anglais dit-il.


Pour pêcher le saumon ceux-ci réalisaient des cannes en bois d’Hickory (noyer blanc d’Amérique du sud) particulièrement résistant, puis en Greenheart, plus flexible, avec lequel ils arrivaient à faire des cannes de 20 pieds (6m) de long, qui frôlaient tout de même avec les 2kg.

Cannes Wyers « La Parfaite » en Greenheart, ci-dessus au catalogue 1908
Cannes Wyers « La Parfaite » en Greenheart, ci-dessus au catalogue 1908

Début du XXe : l’essor du lancer léger


Aux États-Unis c’est Samuel Philippe, un luthier de Pennsylvanie, qui vers 1845 aurait le premier fendu du roseau pour confectionner une canne composée de quatre morceaux. En 1871, Hiram Léonard inventa la canne en bambou refendu à six brins, qui restera pendant près d’un siècle la meilleure façon de faire des cannes à mouche puis à lancer. La production de cannes en bambou refendu se développera d’abord en Angleterre, en Amérique et en Belgique. En France, elle fut plus tardive, peut être pour une simple question d’offre et de demande, le peu de pêcheurs intéressés pouvant facilement s’approvisionner dans les magasins parisiens réputés comme Wyers ou au Pêcheur Écossais ( 47 rue Joubert, Paris IXe) qui importaient du matériel de Redditch ou d’Alnwick dans le nord de l’Angleterre.

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Après la première guerre mondiale, le belge Théo De Deken fut un des premiers à ouvrir sa fabrique à Paris (De Deken avait un magasin 4 rue de l’Étuve à Bruxelles et un à Paris XIe), puis ce fut le tour des maisons Devine (à proximité de Lyon), Garreau (à Dijon, reprise ensuite par Pezon et Michel), de Regnault-Guesneau (1924) et Perrot (1925) à Paris…


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Dans les années 1930, l’apparition des moulinets à tambour fixe (spinning) et les progrès dans la fabrication des cannes en bambou refendu contribuera à l’essor de la pêche au lancer léger. Avant cela, c’est à dire avec les moulinets à bobine tournante, il n’y avait guère que deux façons de lancer, soit ligne lovée au sol ou dans le creux de la main (Thames style, voir The Book of the Pike, Cholmondeley-Pennell (1865) p 136 - 141) en utilisant un petit moulinet métallique, soit ligne lovée sur un plus gros moulinet avec une canne à deux mains (Nottingham style, voir Float fishing and spinning in the Nottingham style, John William Martin (1882 et 1885) ).

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a . Le pêcheur tient la canne de sa main droite au dessus du moulinet b. De sa main gauche il tire une ou deux longueurs de ligne pour faire un lancer style Nottingham
a . Le pêcheur tient la canne de sa main droite au dessus du moulinet b. De sa main gauche il tire une ou deux longueurs de ligne pour faire un lancer style Nottingham

Le lancer Wallis, inventé par F. W. K. Wallis en 1927, consiste à tenir la plombée entre l’index et le majeur de la main gauche, paume vers le bas, de tirer une longueur de fil avec le pouce gauche, d’arquer un peu le scion pour la propulser en accompagnant d’un mouvement latéral de la canne… sans oublier de freiner la bobine avec le pouce en fin de course.


La fabrication des cannes en bambou refendu


Les meilleurs bambous utilisés pour les cannes étaient importés du sud-est de la Chine, près de la frontière du Tonkin où, en altitude, ils poussaient moins vite, gagnant ainsi en densité de fibres et en qualité. La maison française Pezon et Michel, une des plus réputées, utilisait le Pingona, tandis que de l’autre côté de la Manche, à Alnwick, la maison Hardy choisissait les bambous des monts Palakona. Pour faire des cannes, ces bambous devaient être magasinés pendant plusieurs années à l’abri de l’humidité (environ 5 ans), avant d’être soigneusement triés, puis d’être fendus à la main pour conserver l’intégrité des fibres. Les nœuds étaient minutieusement meulés (intérieurs et extérieurs) avant que chaque baguette soit rabotée en triangle. C’est la partie extérieure qui était utilisée, car c’est celle la plus dense en fibres (au delà des premiers 1,5mm les propriétés mécaniques diminuent de près de la moitié). La préparation en série de futurs blanks de qualité nécessitait de disposer de raboteuses précises au centième de millimètre, de colleuses et de tours pour fabriquer des viroles, ce qui prenait de nombreuses heures de travail aux ouvriers très qualifiés et au final en expliquait le coût.


Schéma de la raboteuse à multicones Pezon et Michel paru dans la revue ABDE. A-B : trajet en va-et-vient de la règle qui fait passer le bambou sous la fraise C. Un dispositif spécial permet à cette fraise de varier les épaisseurs de coupe, au fur et à mesure que le bambou passe sous les éléments raboteurs.
Schéma de la raboteuse à multicones Pezon et Michel paru dans la revue ABDE. A-B : trajet en va-et-vient de la règle qui fait passer le bambou sous la fraise C. Un dispositif spécial permet à cette fraise de varier les épaisseurs de coupe, au fur et à mesure que le bambou passe sous les éléments raboteurs.

Chaque blank était généralement constitué de 6 baguettes triées et choisies, en alternant la position des nœuds pour ne pas créer de faiblesse. Les brins étaient ensuite immergés dans une colle spéciale, maintenus par un mandrin et serrés les uns contre les autres par un tressage de fils. Après un séchage de plusieurs mois, ils étaient débarrassés de cette gangue de fils, nettoyés avant que la poignée soit réalisée, les anneaux et le blank ligaturés et les cannes enfin vendues.

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L'action des cannes à lancer


En 1936, l’éminent moucheur Charles Ritz, fils du créateur de l’hôtel éponyme, collabora avec Pezon & Michel pour élaborer des cannes en bambou refendu destinées à la pêche à la mouche (modèles Parabolic) mais aussi au lancer (modèles Télébolic). Il expliquait (ABDE n° 73 de décembre 1941 p 2 à 4) la nécessité d’avoir plusieurs conicités sur un même blank. Un premier cône amortisseur en pointe de scion pour se redresser rapidement afin de propulser le leurre, un second cône plus progressif sur le reste du scion ainsi que dans les deux tiers supérieurs du gros brin, et un légèrement plus accentué dans le talon (fig4).


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Louis Perrot, ingénieur orthopédiste, est habile de ses mains. Après son travail il répare volontiers voire améliore le matériel de pêche de quelques clients avant de se reconvertir en ouvrant une fabrique d’articles de pêche à Paris en 1925. Disciple de De Deken, il plaidait (ABDE n°75 de février 1942 p 8-9) pour une conicité régulière et une action progressive des cannes. Il trouvait l’action « anglaise » type modèle Wanless de Hardy (fig1) trop parabolique, avec un fléchissement trop fort dès la poignée (qui comportait une partie cylindrique, voir fig3), ce qui donnait une canne « molle » et une action lente. Quant à l’action « américaine » (2), la conicité accentuée du blank vers le talon, et celle fine de la pointe donnait une action trop rapide et trop rigide à son goût.


Il précisait que les cannes en trois brins (fig3 sur l’illustration suivante) présentaient deux points faibles (contre évidemment un seul pour les cannes en 2 brins) et avaient de ce fait une action « cassée », inconvénient qui imposera diverses réflexions tant sur les viroles pour essayer de conserver la conicité que, plus tard, sur les spigots des cannes en carbone, avant la généralisation des emmanchements inversés. Il prônait les cannes « à profil de résistance constante » (4), afin d’avoir une courbure régulière et progressive, sans aucun point faible.

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Il y avait évidemment une compétition à la fois technique et commerciale entre fabricants, qui au final profitait au pêcheur. Dans l’entre deux-guerres, les concours de casting devinrent très populaires, à l’image de la célèbre Coupe Violet-Byrrh à Paris (1937) qui réunissait plusieurs centaines de participants. Les distances obtenues lors de ces concours étaient de véritables arguments marketing pour promouvoir telle ou telle canne à lancer, sans oublier pour autant qu’elles devaient rester des cannes à « pêcher ». Perrot rappellera à ce sujet que les contraintes ne sont pas les mêmes, ne serait-ce que parce la compression au lancer ne dure que quelques secondes, alors que la flexion durant le combat peut durer plusieurs minutes avec, au moment de la mise à l’épuisette, une courbure complètement en arc de cercle où l’action progressive se montre supérieure. Il s’interrogeait aussi sur les anneaux, qui devaient être larges au départ puis d’un diamètre diminuant progressivement, surélevés du blank et s’en rapprochant vers le scion pour guider le fil, tout en évitant les frottements contre la canne, et le plus léger possible pour ne pas la charger ni la déséquilibrer.


A son tour, Louis Carrère, spécialiste du lancer léger (Technique du lancer léger , Louis Carrère, 1941) précisait plusieurs choses au sujet des anneaux. La première était la nécessité d’avoir des anneaux de départ et de tête en agate (ce que se refusait à faire Pezon et Michel pour une question de poids, cf son catalogue de 1954). La seconde était idéalement de centrer les anneaux sur une ligne qui part de l’axe du moulinet au centre de l’anneau de tête, idéal auquel il renonça pour des questions de difficulté de transport, mais que les meilleurs monteurs aujourd’hui n’ont pas oublié. Il met en avant le compromis à trouver en réduisant, d’un côté, le nombre d’anneaux pour limiter le freinage et ne pas alourdir la canne et en avoir suffisamment, de l’autre, pour répartir les efforts le long du blank.


La domination des cannes longues (1900-1950 et plus)


Il y eut deux grands types de cannes à carpe en France, classées comme telles dans beaucoup de catalogues. Celles utilisées pour la pêche au coup et celles utilisées pour la pêche au lancer. Pour pêcher au coup les pêcheurs de carpe utilisaient (lire Serrane ou Sexe) de grandes cannes de 5 à 7m à anneaux. Elles étaient faites en bambou blanc ou noir, ou en roseau rubané.

Canne à carpe Wyers en bambou noir (catalogue 1908)
Canne à carpe Wyers en bambou noir (catalogue 1908)
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Cannes à carpe Manufacture St-Etienne (catalogue 1912)
Cannes à carpe Manufacture St-Etienne (catalogue 1912)
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Cannes au coup Pezon et Michel (catalogue 1954)
Cannes au coup Pezon et Michel (catalogue 1954)
Canne à carpe Manufrance (catalogue 1954)
Canne à carpe Manufrance (catalogue 1954)

Les cannes plus courtes, de 3m environ, étaient principalement utilisées pour pêcher à la pelote. Elles étaient souvent tiercées, c’est a dire que les brins étaient de longueurs différentes, décroissantes, ce qui donnait une action plus forte.

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