Les cannes à carpe après 1950
- Eric Deboutrois
- 25 janv.
- 8 min de lecture
Dernière mise à jour : 10 févr.
Les cannes à lancer lourd en bambou refendu
Au début du siècle dernier les cannes en bambou refendu étaient jugées trop flexibles (cf Fernand Serrane (p240), sauf à être en double-built voire renforcées d’une âme en acier qui les alourdissaient. Dans les années 50, la maison Pezon et Michel fera pourtant de bonnes cannes à lancer à deux mains en bambou refendu à l’image des Luxor et des excellentes Télébolic 5L, en bambou refendu trempé, plus dur (x3) et plus nerveux (30 à 50% de ressort en plus).


Leur principal défaut était 'juste' d’être trop chères pour bien des bourses, leur prix représentant l’équivalent d’un mois de salaire d’un ouvrier (12 200 francs pour la Luxor 2000 et 14 500 francs pour la 5L et 1958).

Comparativement les Ferax de Manufrance coûtaient deux fois moins cher.


La MKIV de Richard Walker
En Angleterre, Allcocks avait fabriqué une canne à pêche polyvalente de onze pieds baptisée Wallis Wizard en hommage à F.W.K.Wallis, détenteur du record de pêche au barbeau avec un spécimen de 14lb 6oz capturé sur l’Avon en 1937. Cette canne était réalisée en trois parties. Le talon était en bambou Tonkin (entier), les deux autres étant en bambou refendu.
Richard Walker, dans sa première correspondance de 1947avec Denys Watkins-Pitchford, allias B.B , lui disait qu’il pêchait justement avec une Wallis Avon bien qu’il trouvait qu’elle manquait de puissance. Avec BB, ils ne furent pas long à s’accorder sur le fait qu’aucune canne n’était faite pour pêcher les grosses carpes, ce qu’ils ne manquèrent pas d’indiquer à Courtney Williams, Directeur Général de Allcock. Celui-ci répondit que le marché des cannes à carpe était trop petit pour qu’il en produise, mais envoya néanmoins à Walker des bambous lui suggérant de faire la sienne, ce qu’il fit !
Walker conçut un premier prototype de canne assez similaire à la Wallis Wizard, mais plus courte d’un pied, qu’il baptisa Walker Wizard MK I.
La MK II était aussi une canne de 10 pieds en deux brins composés de 6 lattes triangulaires en bambou Tonkin, préfiguratrice de ce qu’allait devenir la MK IV. Avant cela, la MK III fut élaborée à partir d’un cœur hexagonal de 6 lattes triangulaires, renforcé par une enveloppe faite de 6 lattes de bambou (double-built), plus puissante mais aussi plus lourde, ce qui le conduira à concevoir les plans de la MK IV vers la fin 1951. Si les MK I, II et III ont été construites sur la base de cannes existantes, Walker conçut un blank sur mesure pour la MK IV. Cette canne en 10 pieds et 2 brins faisait 1,5 lb de puissance et se singularisait par une conicité plus importante dans le talon et le scion que dans sa partie centrale (rejoignant en cela ce qu’avait préconisé Charles Ritz). Cela permettait de lancer des plombs d’une quarantaine de grammes tout en gardant une action parabolique lors du combat.
Alors qu’il était jusque là difficile d’intéresser les fabricants à la production de cannes spéciales grosses carpes, c’est la capture de Clarissa qui changeât la donne à partir de 1952.

Après une production artisanale par Walker lui-même (dont celle avec laquelle Chris Yates capturera Bishop le nouveau record d’Angleterre en 1980), l’atelier londonien de B James & Son produit plusieurs variantes de MK IV de 1952 à 1966 (voir tableau).


Dans une correspondance échangée avec James Bruce (fondateur de B. James & Son) en 1952, Walker commente une canne à carpe MK IV qu’il lui avait envoyée pour approbation. Bien qu'il suggérât quelques ajustements mineurs relatifs à la taille de la virole, à l'espacement des anneaux et à la longueur de la poignée, sa principale critique portât sur l'inscription à l'encre de Chine figurant sur la canne au-dessus de la poignée. Il dit à Bruce que cette inscription était épouvantable et suggérât qu'en attendant que les transferts de sa signature soient livrés, il signerait les blanks que Bruce avait reçu. Cette première série de cannes, signées de la main de Walker donc, portent les premiers transferts dorés de B. James indiquant « Built To Endure ». Il a été dit que le nombre de cannes signées par Walker correspondait à deux lots, mais personne n'a d'idée précise sur la composition même d'un lot. Comme les blanks de ces cannes étaient fournis par Bob Southwell de Croydon (sud de Londres) qui les fabriquait à la main, c’est à dire en petite quantité et à petite vitesse, il se peut qu'une ou deux douzaines de cannes au maximum aient été signées par Richard Walker lui-même. Très peu d'entre elles furent retrouvées (une dizaine).

Comme Walker avait rendu publiques les mesures de la conicité de ses MK IV, et même si seules les cannes B. James & Son of Ealing portaient son nom, beaucoup d’autres facteurs de cannes produiront leur propre version sur ce modèle, jusqu’au début des années 70.
15 000 MK IV ont été fabriquées par B. James et sûrement autant par les autres fabricants.

1967, la fibre de verre
Aux États-Unis apparaissent les lancers en alliages métalliques (Duralumin issu de l’aéronautique), fabrication dans laquelle se lancera Henri Garbolino en 1945. En même temps, une canne en fibre de verre fut imaginée par le Dr Arthur M Howald qui, après avoir brisé le scion de sa canne, eut l’idée d’en faire fabriquer un avec des fibres liées avec de la résine. Un prototype datant de 1945 est exposé au Musée de pêche à la mouche du Montana et les premières cannes en fibre de verre « Howald Wonderod », fabriquées par Shakespeare, sont commercialisées en 1947. Pezon & Michel fera aussi de très bonnes cannes « télébolic-verre » pour le lancer léger en fibre de verre, matériau que les américains appelleront Conolo.
Quant aux premières cannes en fibres de verre creuses, elles furent inventées en France, au début des années soixante par Henri Dubois, un pêcheur passionné et ingénieur des PTT qui eut l’idée d’utiliser des gaines d’isolation de fils téléphoniques. En France, ce sont les cannes à lancer télescopiques de marque Lerc (dont les modèles Fario) qui envahiront le marché dans les années 70, avant que beaucoup d’autres marques se lancent dans cette fabrication. Garbolino abandonnera la fabrication des cannes métalliques pour se lancer dans le développement des stratifiés verre-résine et installer son usine à Sainte Maure de Touraine en 1969. En 1980, elle sortira la Télé Carpe, signé Jo Nivers.

En Angleterre, Hardy collaborera avec Richard Walker qui jouera un rôle important dans le développement et la popularisation des cannes en fibre de verre en reconnaissant leur potentiel. Alors que les cannes en bambou refendu limitaient la distance de pêche, l’usage de la fibre de verre permit d’allonger les cannes, d’augmenter la puissance (2,5 à 2,75 lbs) sans les alourdir et donc de gagner en distance de lancer, comme le demandaient les pêcheurs.

1976, les cannes en carbone
En collaborant avec les ingénieurs du Royal Aircraft Establishement, qui avaient développé un procédé pour élaborer des matériaux composites, Hardy a ouvert la voie aux cannes carbone en Angleterre. A la même période plusieurs entreprises développèrent cette activité au Japon (dont Toray). Après quelques balbutiement (les prototypes cassaient, faute de résine de qualité) les premières cannes en carbone seront commercialisées en 1976. Avec la production industrielle automatisée il devint possible de sortir des modèles de plus en plus performants, amenant une importante évolution tant au niveau de l’action des cannes, que de leur section et de leur poids, divisé par trois.
Trois sociétés anglaises se sont partagées le marché des cannes à carpe pendant près d'une décennie. Century avec ses cannes Armalite CPT (Composite Progressive Taper) créées à partir de carbone et d'aramide (Kevlar), au blank solide, parabolique et de petit diamètre, déclinées de 11 à 13 pieds et de 1,75 à 3 lb. Tri-cast a également fait des cannes carbone-Kevlar, tressées en diagonale pour former une structure en spirale, conçues avec Jim Gibbinson. Harrison enfin, a produit (et produit encore) d’excellents blanks utilisés par différents monteurs pour faire des cannes personnalisées (custom build).

C’est en 1979 que Rod Hutchinson commence à concevoir ses premières cannes à carpe avec le célèbre monteur Alan Brown. Rod a rencontré Pete Thomas (représentant pour Fibatube) dans le magasin d’Alan Brown qui lui a donné une canne en carbone 10ft « brandnew » destinée à la pêche du saumon. Celle-ci était assez puissante, mais trop courte au goût de Rod pour lancer à des distances importantes et brider les poissons. Il l’a modifiée en la rallongeant de 2 pieds à l’aide d’une vieille canne de pêche en mer. Ce fut donc la naissance de la première (nouvelle) canne à carpe de 12ft qui, après amélioration, sera vendue sous le nom de Big Pit Special. Puis avec les cannes IMX, c’est à partir d’un blank en fibre de carbone IM-7 de Century qu’il a réussi à trouver un excellent compromis entre puissance et sensations lors des combats. Après avoir travaillé avec Greys of Alnwick, c’est Alastair Bond Custombuilt Fishingrods qui montera les blanks Century pour en poursuivre la production, ainsi que celle des Sabre et Horizon. Au milieu des années 90 Alastair Bond transfère la production des blanks chez Harrison avec lesquels seront produits les Dream Maker (1996), vendues à plus de 30 000 exemplaires.
Début 1990, lorsque la pêche moderne de la carpe a réellement explosé en France, il fallait aller dans les magasins spécialisés (Bunel à Paris, Watersport centrale à Genk en Belgique…) pour trouver les cannes qui tenaient la vedette, à l’exception peut-être des Wildie, pensées par Dominique Audigué et produites par la société française Garbolino. Grâce au réseau de distribution de la marque, à l’excellent rapport qualité/prix, à un blank (équipé d'anneaux Fuji SiC - Carbure de silicium -) en carbone kevlar à la conicité particulière qui lui conférait de bonnes qualités de lanceuse tout en restant agréable sur le poisson, plus de 15 000 exemplaires de Wildie seront vendues. Son blank sera même exporté en Grande-Bretagne.
En parallèle de l’importation et de la distribution de matériel de pêche via les petits détaillants (ce que fait par exemple la maison SERT depuis 1972), les années 90 verront apparaître des nouvelles chaînes de magasin (Décathlon, Pacific Pêche etc.) qui développeront leurs propres marques en important des produits d’Asie.
C’est ainsi que les premières cannes Saint-Cassien paraissent au catalogues Decathlon en 1992.
En 1995 SERT met sur le marché les Obsession, réalisées sur les conseils de Philippe Lagabbe. Afin de proposer une canne de 13’ qui était alors le standard, tant bien même que le facteur de canne ne possédait que des mandrins pour des 12’, le premier modèle d’Obsession (celui bleu nuit) fut fabriqué en 3 brins dont un sous le porte-moulinet. L’investissement dans un nouveau mandrin a ensuite permis de produire des blanks de 13’ en 2 brins. Ces cannes semi paraboliques, progressives, alliant bore et carbone, équipées d’anneaux Gold Cermet et d’une poignée intégrale, avaient un look incomparable et une puissance incroyable allant de 3,5 jusqu’à 4lbs pour le modèle de 4,20m.
A la même période (1994), Léon Hoogendijk sort la Orient Power Plus distribuée par Pacific Pêche, Concept Pêche les Ballistique et Rebelle (1996) toutes montées chez Greys of Alnwick sur des blanks Harisson.
Aujourd'hui
Il y a aujourd’hui énormément de modèles de cannes sur le marché, comparativement au choix que nous avions il y 40 ans, chacun devrait forcément en trouver une à sa main. Si vous voulez vous faire plaisir, vous avez aussi la possibilité de faire appel aux services d’un monteur, vous pourrez tout choisir, du blank aux anneaux en passant par la cosmétique des ligatures. Comptez 500 à 600€ pour une canne d’exception. Si vous n’êtes pas assez fortunés, rien de bien grave ! Les cannes d’entrée de gamme d’aujourd’hui sont très performantes par rapport à ce qu’elles étaient il y a quelques décennies. Peut-être trouverez vous même plaisir à acheter et à pêcher avec des cannes vintages ? J’aime ressortir mes Daiwa Power Mesh 2,5 lbs 12 pieds (3 brins à spigot) qui doivent maintenant avoir plus de 25 ans...

Quelques modèles de cannes ici



Très bon article,plaisant a parcourir.