Le docteur Ernest Sexe (1871-1940)
- Eric Deboutrois
- 20 févr.
- 4 min de lecture
Dernière mise à jour : 23 févr.
Le docteur Sexe a édité 1000 exemplaires de « La carpe de rivière » à compte d’auteur, en 1937. Tony Burnand (également médecin) créateur et rédacteur en chef de la revue ABDE (Au Bord de L'Eau), écrit à propos du livre de son confrère : « je n’avais pas lu dix lignes que j’étais alerté, cent lignes que j’étais pris, et je crois bien que la carpe, ce soir là, battit de cent longueurs la truite dans mon esprit... » L’ouvrage devenu introuvable, il décide en 1954 d’en reproduire quelques pages chaque mois dans ABDE (du n° 211, mars 1954, au n° 236, octobre 1955), jusqu’à en publier la presque totalité, puisque seuls manquaient des deux derniers chapitres.

Le cercle des carpistes disparus
La petite histoire veut qu'en 1979 Dominique Audigué découvre ce livre au travers de quelques photocopies d’ABDE. N’arrivant pas à se le procurer, Dominique contacte la Mairie de Scey-sur-Saône, village natal du docteur Sexe. Celle-ci le met en contact avec son fils, Henri. Quelques années plus tard, en 1984, Dominique aura la surprise de recevoir une édition originale du précieux livre, offerte par Henri Sexe, ce qu’il raconte une douzaine d’années après dans un article intitulé « le cercle des carpistes disparus », publié dans Média Carpe (n°8, p68 à 75). L’histoire aurait pu s’arrêter là. Or, un jour, un éditeur apprend par un collectionneur de livres qu’un de ses amis, Dominique en l’occurrence, connaît le fils de l’auteur qui détient le manuscrit… Après quelques échanges avec Dominique, puis avec Henri Sexe, « Carpe de rivière » est réédité aux éditions du Pécari, en 1998.

« Une Éthique et une Philosophie complètes »
Michel Winthrop consacre un beau chapitre au bon docteur et à son ouvrage (Grandes figures de la pêche, 1999, p177 à 184. Du même auteur, 100 ans de pêche en eau douce, 2001). Sur la forme, il commence par décrire un style à la fois simple, poétique et souvent drôle, souligne sa sagesse, son éthique, sa philosophie. Il dépeint ensuite la transformation de l’homme, de nature optimiste devenu mélancolique suite aux horreurs de la guerre, peut-être à force de réparer les « gueules cassées » ; puis, le temps faisant, celle du moucheur que « la cinquantaine ramène à la pêche assagie » (je cite ici le docteur), celle de la carpe que pratiquait aussi Jean, son père. Ces précisions sont utiles pour bien saisir, à défaut d’un poisson, l’instant présent et la profondeur des propos du docteur qui commençaient son livre par « La pêche de la carpe à la ligne condense en elle seule une Éthique et une Philosophie complètes ».
Dominique concluait l’avant propos de la réédition de 98 en écrivant point de recette infaillible, de montage inédit ou de technique miracle, « Il ne contient qu’un seul secret, le secret des bonheurs simples, comme l’était la pêche de la carpe au temps où l’on savait prendre son temps ». Dans le gros chapitre consacré aux esches et amorces, Ernest Sexe consacre toutefois un sous-chapitre aux secrets de pêche, qu’il résume en citant La Fontaine : « L’homme est de glace aux vérités, il est de feu pour le mensonge ».

Au sujet des cannes le docteur rappelle qu’en 1880, à Scey-sur-Saône (comme ailleurs en fait) les pêcheurs n’avaient pas d’autre choix que de les fabriquer eux-même, à partir d’un chevron de sapin. Plus loin il mentionne les trois modèles de cannes qu’il utilise, une de 3,30m en bambou refendu en 2 brins qui convient très bien pour la pêche à la pelote, une de 4,50m en 4 brins en roseau ruban et une de 6m en bambou noir. Pour une canne de 6m en 3 brins il détaille la répartition des efforts de flexion qui doivent porter jusqu’au tiers inférieur du brin du milieu (on dirait aujourd’hui une canne semi parabolique). 12 ou 13 anneaux « bridges » surélevés (armature métallique enveloppant les anneaux) en porcelaine ou en agate pour les plus fortunés, et un porte moulinet en complètent l’équipement.
Quant au moulinet, les anciens pêcheurs ont discuté leur utilité. « Avant » ils utilisaient des lignes faisant 2 à 3 fois la longueur de la canne, ou laissaient celle-ci filer à l’eau accrochée à 20m de cordelette pour aller la récupérer ensuite en bateau. Mais la méthode et le contact n’étaient pas très sportif et il fallait bien souvent se faire aider pour « requiller » la carpe.
Le Dr Sexe ne discute pas de l’utilité du moulinet, pour lui il est indispensable. Il discute juste de savoir si il faut l’utiliser dessus ou dessous la canne par rapport au déroulement du fil dans les anneaux. Il a essayé le quadruple multiplication qu’il a trouvé dur à la récupération et qui oblige à pomper, puis est passé au triple, double pour finalement revenir à la simplicité et la douceur du moulinet simple en noyer de gros diamètre (13 cm), avec pour toute mécanique un cliquet à ressort (un « cric »).

Les apports du docteur Sexe, ophtalmologue ai-je omis de préciser, sont considérables. Il décrit parfaitement les sens de la carpe qu’il présente en trois chapitres, 1) la vision, 2) « ce qu’il appelle « le toucher de l’eau » (équilibre, orientation et audition) et 3) la télé-gustation, supprimant volontairement le préfixe « olfacto » qu’utilisent d’excellents auteurs prend-il soin de préciser, qu’il remplace par « télé ». Il explique une notion parfois mal-comprise encore : la carpe n’a pas d’odorat, ses deux sacs olfactifs tapissés de bourgeons du goût lui permettant de goûter les particules sapides dissoutes dans l’eau et véhiculées à distance.
Inutile donc de sentir les arômes utilisés comme additifs qui « capturent d’abord le pêcheur par le nez » écrit-il, s’appuyant sur les travaux de Roule et rejoignant ainsi Louis Matout.



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